Bubble est un long-métrage de 73 minutes seulement. Durée peu commune mais suffisante pour développer une histoire d’une étonnante simplicité. Martha (Debbie Doebereiner) et Kyle (Dustin Ashley) sont employés dans une usine de fabrication de poupées. La différence d’âge qui sépare la quadragénaire et le jeune homme ne les empêche pas d’entretenir une sincère amitié. Mais l’arrivée de Rose (Misty Wilkins), une jeune mère célibataire, rompt l’exclusivité de leur relation. Un matin, la police découvre le corps de Rose étendue chez elle. Elle a été étranglée pendant la nuit.
La bande-annonce énigmatique de Bubble promettait énormément. Une succession de plans, accompagnés par une musique espiègle, montrait les différents stades de confection des jouets en plastique. Le film dépasse toutes les espérances. Il faut dire que le travail épuré de Steven Soderbergh est fascinant. Sa mise en scène sert admirablement le minimalisme du scénario. On ne relève aucun plan inutile ni aucune fausse note, et on n’a de cesse, durant la projection, d’admirer la simplicité de la photographie, dirigée par le réalisateur lui-même.
La précision des cadrages et la qualité du découpage du film laisseront de nombreux cinéphiles rêveurs. Pour évoquer la réalité ouvrière du Midwest, Soderbergh privilégie les plans fixes et ne recourt que très rarement à des panoramiques. Les travellings sont quant à eux bannis. L’échelle de plans et les changements d’axes se répètent souvent dans un ordre similaire (la séquence où la mère de Kyle annonce à Martha la mort de Rose est sur ce point éloquente). Le langage cinématographique est ainsi réduit au strict nécessaire, afin de retranscrire avec précision la simplicité des protagonistes. Cette approche, que l’on pourrait qualifier en partie de « néo-réaliste », met le doigt sur une Amérique profonde, méconnue en dehors de ses frontières et évidemment peu médiatisée par les studios. Le traitement narratif nous éloigne par conséquent des représentations traditionnelles produites par l’industrie hollywoodienne, et prouve une fois de plus l’hétérogénéité du cinéma américain.
Les variations chromatiques sont saisissantes. Le jaune de l’usine, le rouge du bar, le bleu des moments de solitude de Martha. Le choix des couleurs reste énigmatique – hormis peut-être la teinte écarlate employée durant la nuit du meurtre, bien qu’aucune goutte de sang ne soit versée. Soderbergh filme peut-être simplement les lieux d’après sa manière de les percevoir. La fabrique est donc jaune parce que le réalisateur la voit en jaune. La présence de certaines couleurs ne doit donc pas faire tomber le spectateur dans un symbolisme convenu.
L’immobilité de la caméra illustre l’encrage des personnages dans cette petite ville d’anonymes – le film s’ouvre d’ailleurs sur l’image d’une pelleteuse qui creuse la terre – qui semblent vivre dans une bulle hermétique à tout progrès économique. Il n’est donc pas étonnant de voir que chacune des familles portée à l’écran semble touchée par des problèmes similaires. Le chômage, l’ennui, le confinement social.
Le film exprime une crise multiforme : l’exploitation salariale, l’habitat rudimentaire, l’interruption précoce de la scolarité ou encore la faiblesse du pouvoir d’achat de la classe ouvrière. Le travail de Martha, Kyle et Rose est aussi rébarbatif que minutieux. Les nombreux plans qui décrivent la fabrication des poupées, par-delà leur portée documentaire, sont oppressants. Les têtes gonflées, les yeux peints, les perruques miniatures témoignent d’une esthétique assez glauque, qui n’illustre jamais l’univers merveilleux de l’enfance, mais plutôt l’aliénation de l’ouvrier américain.
La bande musicale se limite à une guitare acoustique, et semble résumer l’aridité de l’univers dans lequel évoluent les personnages. Le resserrement du cadrage autour des trois protagonistes lorsqu’ils déjeunent donne une forte impression d’isolement. Malgré les services rendus et les petites sociabilités, Bubble décrit un désert social où les individus ne partagent que la précarité de leur condition. La rareté des dialogues souligne d’ailleurs la pauvreté de leurs échanges : hormis quelques problèmes quotidiens, les personnages n’ont absolument rien à se raconter.
La direction des acteurs est sublime. Soderbergh a choisi des non-professionnels qu’il dirige avec une précision qui exclut une improvisation trop prononcée. L’interprétation des personnages n’en est pas moins subtile. Il faut admirer avec quelle sobriété audacieuse ces derniers apprennent la mort de Rose. Le spectateur est même dérangé par le détachement de la communauté face à ce meurtre. Pourtant, la réaction des protagonistes est logique. Elle est conforme à la nature de leurs relations. On remarquerait même un certain cynisme de la part de Soderbergh, face à l’apathie troublante du père de Martha lorsque l’inspecteur lui rend visite. Le vieil homme réagit à peine à la nouvelle que lui apprend le policier. Mais le dernier plan de la séquence trahit son émotion : ses yeux se perdent dans le vide et exprime son indicible chagrin.
Si la valeur sociologique de Bubble ne fait aucun doute, le traitement de l’intrigue policière est tout aussi réussi. L’enquête est d’une sobriété remarquable. Soderbergh et sa scénariste Coleman Hough renouvellent un genre en s’éloignant des pistes maintes fois balisées. Ce n’est plus le nombre de rebondissements ou leur originalité qui rythme la narration, mais l’absence quasi-totale des codes constitutifs du drame criminel.
La fin alternative (présentée dans les bonus du DVD) apporte une nouvelle portée au film et semble moins pertinente que l’originale. On apprend que l’assassin a une tumeur au cerveau, pirouette scénaristique qui expliquerait son geste et son amnésie. La thèse de la folie diminue la teneur sociale du meurtre, dont les raisons ne résultent plus des conséquences alarmantes des conditions de vie et de la fragilité émotionnelle du personnage. On préfèrera donc la version initiale, plus ordinaire, qui cadre beaucoup mieux avec le propos de l’œuvre.
Bubble dépasse également le cadre du film social, en apportant un regard neuf sur la fragilité d’une amitié. Martha est blessée de voir Kyle se rapprocher naturellement de Rose. Elle n’apprécie pas sa nouvelle collègue, qu’elle juge arrogante et intéressée. Celle-ci est également trop fantaisiste à son goût. La jeune femme ose se délasser en prenant un bain dans le jacuzzi de ses employeurs et ne souhaite pas terminer sa vie dans cette ville. Rose rêve d’un ailleurs, qui lui permettra de fuir la pauvreté qui l’entoure, contrairement à Martha qui doit s’occuper de son père et reste confinée dans sa médiocrité.
Soderbergh ne tente à aucun moment de donner une dimension plus élevée aux personnages ou aux événements. C’est la grande force du film. Le cinéaste n’adopte pas un regard transcendantal pour observer ces existences insignifiantes (simplicité des sentiments, banalité des conversations, monotonie du quotidien), fuyant ainsi toute tentative de magnifier la réalité des prolétaires. Il n’y a pas de doute, Bubble est bien une réussite totale.
La bande-annonce énigmatique de Bubble promettait énormément. Une succession de plans, accompagnés par une musique espiègle, montrait les différents stades de confection des jouets en plastique. Le film dépasse toutes les espérances. Il faut dire que le travail épuré de Steven Soderbergh est fascinant. Sa mise en scène sert admirablement le minimalisme du scénario. On ne relève aucun plan inutile ni aucune fausse note, et on n’a de cesse, durant la projection, d’admirer la simplicité de la photographie, dirigée par le réalisateur lui-même.
La précision des cadrages et la qualité du découpage du film laisseront de nombreux cinéphiles rêveurs. Pour évoquer la réalité ouvrière du Midwest, Soderbergh privilégie les plans fixes et ne recourt que très rarement à des panoramiques. Les travellings sont quant à eux bannis. L’échelle de plans et les changements d’axes se répètent souvent dans un ordre similaire (la séquence où la mère de Kyle annonce à Martha la mort de Rose est sur ce point éloquente). Le langage cinématographique est ainsi réduit au strict nécessaire, afin de retranscrire avec précision la simplicité des protagonistes. Cette approche, que l’on pourrait qualifier en partie de « néo-réaliste », met le doigt sur une Amérique profonde, méconnue en dehors de ses frontières et évidemment peu médiatisée par les studios. Le traitement narratif nous éloigne par conséquent des représentations traditionnelles produites par l’industrie hollywoodienne, et prouve une fois de plus l’hétérogénéité du cinéma américain.
Les variations chromatiques sont saisissantes. Le jaune de l’usine, le rouge du bar, le bleu des moments de solitude de Martha. Le choix des couleurs reste énigmatique – hormis peut-être la teinte écarlate employée durant la nuit du meurtre, bien qu’aucune goutte de sang ne soit versée. Soderbergh filme peut-être simplement les lieux d’après sa manière de les percevoir. La fabrique est donc jaune parce que le réalisateur la voit en jaune. La présence de certaines couleurs ne doit donc pas faire tomber le spectateur dans un symbolisme convenu.
L’immobilité de la caméra illustre l’encrage des personnages dans cette petite ville d’anonymes – le film s’ouvre d’ailleurs sur l’image d’une pelleteuse qui creuse la terre – qui semblent vivre dans une bulle hermétique à tout progrès économique. Il n’est donc pas étonnant de voir que chacune des familles portée à l’écran semble touchée par des problèmes similaires. Le chômage, l’ennui, le confinement social.
Le film exprime une crise multiforme : l’exploitation salariale, l’habitat rudimentaire, l’interruption précoce de la scolarité ou encore la faiblesse du pouvoir d’achat de la classe ouvrière. Le travail de Martha, Kyle et Rose est aussi rébarbatif que minutieux. Les nombreux plans qui décrivent la fabrication des poupées, par-delà leur portée documentaire, sont oppressants. Les têtes gonflées, les yeux peints, les perruques miniatures témoignent d’une esthétique assez glauque, qui n’illustre jamais l’univers merveilleux de l’enfance, mais plutôt l’aliénation de l’ouvrier américain.
La bande musicale se limite à une guitare acoustique, et semble résumer l’aridité de l’univers dans lequel évoluent les personnages. Le resserrement du cadrage autour des trois protagonistes lorsqu’ils déjeunent donne une forte impression d’isolement. Malgré les services rendus et les petites sociabilités, Bubble décrit un désert social où les individus ne partagent que la précarité de leur condition. La rareté des dialogues souligne d’ailleurs la pauvreté de leurs échanges : hormis quelques problèmes quotidiens, les personnages n’ont absolument rien à se raconter.
La direction des acteurs est sublime. Soderbergh a choisi des non-professionnels qu’il dirige avec une précision qui exclut une improvisation trop prononcée. L’interprétation des personnages n’en est pas moins subtile. Il faut admirer avec quelle sobriété audacieuse ces derniers apprennent la mort de Rose. Le spectateur est même dérangé par le détachement de la communauté face à ce meurtre. Pourtant, la réaction des protagonistes est logique. Elle est conforme à la nature de leurs relations. On remarquerait même un certain cynisme de la part de Soderbergh, face à l’apathie troublante du père de Martha lorsque l’inspecteur lui rend visite. Le vieil homme réagit à peine à la nouvelle que lui apprend le policier. Mais le dernier plan de la séquence trahit son émotion : ses yeux se perdent dans le vide et exprime son indicible chagrin.
Si la valeur sociologique de Bubble ne fait aucun doute, le traitement de l’intrigue policière est tout aussi réussi. L’enquête est d’une sobriété remarquable. Soderbergh et sa scénariste Coleman Hough renouvellent un genre en s’éloignant des pistes maintes fois balisées. Ce n’est plus le nombre de rebondissements ou leur originalité qui rythme la narration, mais l’absence quasi-totale des codes constitutifs du drame criminel.
La fin alternative (présentée dans les bonus du DVD) apporte une nouvelle portée au film et semble moins pertinente que l’originale. On apprend que l’assassin a une tumeur au cerveau, pirouette scénaristique qui expliquerait son geste et son amnésie. La thèse de la folie diminue la teneur sociale du meurtre, dont les raisons ne résultent plus des conséquences alarmantes des conditions de vie et de la fragilité émotionnelle du personnage. On préfèrera donc la version initiale, plus ordinaire, qui cadre beaucoup mieux avec le propos de l’œuvre.
Bubble dépasse également le cadre du film social, en apportant un regard neuf sur la fragilité d’une amitié. Martha est blessée de voir Kyle se rapprocher naturellement de Rose. Elle n’apprécie pas sa nouvelle collègue, qu’elle juge arrogante et intéressée. Celle-ci est également trop fantaisiste à son goût. La jeune femme ose se délasser en prenant un bain dans le jacuzzi de ses employeurs et ne souhaite pas terminer sa vie dans cette ville. Rose rêve d’un ailleurs, qui lui permettra de fuir la pauvreté qui l’entoure, contrairement à Martha qui doit s’occuper de son père et reste confinée dans sa médiocrité.
Soderbergh ne tente à aucun moment de donner une dimension plus élevée aux personnages ou aux événements. C’est la grande force du film. Le cinéaste n’adopte pas un regard transcendantal pour observer ces existences insignifiantes (simplicité des sentiments, banalité des conversations, monotonie du quotidien), fuyant ainsi toute tentative de magnifier la réalité des prolétaires. Il n’y a pas de doute, Bubble est bien une réussite totale.
Aurélien Portelli
BUBBLE
Réalisation : Steven Soderbergh. Interprétation : Debbie Doebereiner, Dustin Ashley, Misty Wilkins. Origine : Etats-Unis. Durée : 1h13. Année : 2006.
Réalisation : Steven Soderbergh. Interprétation : Debbie Doebereiner, Dustin Ashley, Misty Wilkins. Origine : Etats-Unis. Durée : 1h13. Année : 2006.
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