dimanche 7 mars 2010

Le cinéma-Vietnam : entre vérité et fantasme historiques

La guerre du Vietnam a profondément ébranlé la société américaine. Le sujet n'intéresse tout d'abord pas les studios et les spectateurs, des débuts de l'intervention américaine en Asie jusqu'à l'immédiate après-guerre. L'exploitation hollywoodienne du conflit commence véritablement après le succès de Voyage au bout de l'enfer en 1978. A partir de là, des centaines de films sont réalisés sur la guerre du Vietnam, que nous désignons par le terme de « cinéma-Vietnam », emprunté à Benjamin Stora(1). Cette série de longs-métrages a légitimement interpellé les critiques et les historiens, qui se sont interrogés sur la valeur historique de ces oeuvres et leur possibilité d'énoncer des points de vue véridiques sur la guerre.
Aucune réponse n’est cependant envisageable sans tenir compte de trois évidences. Premièrement, l’histoire écrite n’est qu’une retranscription possible du passé, et les vérités établies sont des sursis en attente d’autres découvertes. L’historien ne cherche pas à énoncer des dogmes. Il souhaite seulement convaincre ses lecteurs que son histoire est plausible. Pourtant, si son discours historique paraît plus crédible que celui du cinéaste, l’historien est rarement le plus écouté des deux. Deuxièmement, l’histoire est un genre littéraire à part entière : un travail d’historien et un film historique ont en commun d’être des récits narratifs. Le premier répond à des procédés et des normes universitaires ; le second s’inscrit dans un système de production cinématographique. Leur fonction est néanmoins de raconter une histoire conjuguée au présent. En effet, une vérité historique résulte, troisièmement, des valeurs culturelles, des questionnements et des besoins de la société qui l’énonce.
De nombreux auteurs se sont demandés si le cinéma-Vietnam appartenait à un genre cinématographique spécifique. En fait, il semble plus évident, en considérant l’extrême diversité des réalisations, de le décomposer en quatre catégories de films. On peut distinguer tout d’abord les films de guerre qui représentent les militaires sur le front, puis ceux évoquant le retour des anciens combattants. On discerne ensuite des œuvres « hybrides », qui contiennent à la fois des séquences de combats et d’autres qui abordent la réinsertion sociale des soldats. La dernière catégorie correspond aux films « revanchards », où les Américains se vengent de leurs anciens adversaires, soit en allant secourir les portés disparus, soit en luttant contre le syndicat du crime vietnamien implanté aux Etats-Unis. Les réalisateurs ont ainsi proposé des points de vue divergents sur l’histoire du conflit, en tentant de décrire notamment les conditions de la déroute militaire américaine et le statut du vétéran au sein de la société civile.

Les raisons de la défaite américaine

Le Merdier (Go Tell the Spartans, T. Post, 1978) est l’un des rares films qui explique clairement les raisons militaires de la défaite des Etats-Unis(2). Selon le major Barker (B. Lancaster), l’Etat-major se trompe en choisissant une stratégie fondée sur une défense passive. Chaque jour, les Vietcongs maîtrisent davantage le terrain, alors que les officiers américains disposent seulement de faibles troupes, de surcroît mal équipées. Mais ce discours ne s’applique véritablement qu’au contexte du début des années 1960, bien avant la vietnamisation du conflit, et ne saisit pas les raisons globales de la défaite des Etats-Unis.
La plupart des films de guerre se contentent, quant à eux, d’insister sur la désorganisation et l’inadaptation de l’armée, sans donner d’explications plus précises. Full Metal Jacket (S. Kubrick, 1987) présente tout d’abord l’entraînement des marines à Paris Island, puis leur mobilisation sur le front vietnamien. Le film montre que les soldats ne comprennent pas la logique de la guérilla, car ils ont été formés pour tuer sans réfléchir. Le sergent instructeur Hartman (L. Ermey) leur a seulement enseigné à mépriser l’ennemi sans tenter de saisir ses modes de pensée. Dans Outrages (Casualities of War, B. De Palma, 1989), les militaires sont encore plus désorientés : leur étroitesse d’esprit et leurs préjugés les empêchent de lutter efficacement contre l’adversaire. Le réalisateur accentue la détresse des Américains en exprimant leur difficulté à évoluer dans la jungle, qui chaque jour les épuise davantage.
La critique des officiers est encore plus virulente. Dans Platoon (O. Stone, 1986), les soldats méprisent le lieutenant Wolfe (M. Moses) à cause de son inexpérience et de son manque d’autorité. Alors que sa division est attaquée, il demande par radio que la zone occupée par les Vietcongs soit bombardée. Mais les coordonnées qu’il donne sont fausses et ce sont ses propres hommes qui sont décimés. La critique du personnage du lieutenant est certes un peu trop systématique dans le cinéma-Vietnam, mais reflète une certaine part de vérité historique(3). En effet, bon nombre d’entre eux se retrouvaient à la tête d’une section sans avoir de connaissance réelle des combats. A peine avaient-ils le temps de prendre leurs marques qu’ils étaient mutés et remplacés par un nouvel officier sans expérience.
A l’inverse, le sergent est presque toujours respecté par ses hommes. L’exemple le plus significatif reste le personnage de Bob Barnes (T. Berenger) dans Platoon, qui commande d’une main de fer sa section. Celui-ci rentre souvent en conflit avec le sergent Elias Grodin (W. Dafoe), avec qui il ne partage absolument pas la même vision de la guerre. Les divergences d’opinion sur le déroulement du conflit, la résignation des troupes, la drogue, les bagarres entre soldats, montrent le spectacle d’une armée en déroute, incapable de s’adapter à la stratégie des Vietcongs.
Ces derniers dominent les fantassins américains, en lançant contre eux des attaques-éclair et en gardant une maîtrise totale du terrain. Ils parviennent ainsi à se fondre dans leur environnement, à tel point qu’ils finissent par s’éclipser totalement du champ de la caméra. Dans Le merdier, les soldats vietnamiens apparaissent furtivement et demeurent invisibles durant le déroulement du récit. Dans Apocalypse Now (F. F. Coppola, 1979), l’ennemi devient de plus en plus primitif à mesure que le bateau du capitaine Willard (M. Sheen) remonte le Mékong. Lorsque celui-ci pénètre sur le territoire du colonel Kurtz (M. Brando), il découvre non pas des Vietcongs aguerris, mais des autochtones qui apparaissent dans la brume, immobiles, comme s’ils étaient des éléments du décor de la jungle. La menace constante d’une attaque vietnamienne donne également l’impression, dans Platoon, que la forêt est continuellement habitée par l’adversaire, qui semble se dissimuler derrière chaque arbre.
Par conséquent, les films de guerre laissent croire au spectateur que les Américains se battent contre des fantômes. De nombreux témoignages de soldats donnent raison aux cinéastes, en affirmant que de longues périodes pouvaient s’écouler avant d’apercevoir un ennemi. Cependant, la dynamique narrative et la durée standard d’un long-métrage conduisent à déréaliser la temporalité de la guerre. Souvent, le montage des films alterne rapidement les attaques et les moments d’attente, ce qui donne la sensation au public d’assister à une série de combats quasi-continus. Ce qui n’était pas le cas durant le conflit vietnamien.
La supériorité des Vietcongs sur l’armée américaine provient également des méthodes extrêmes qu’ils appliquent. Kurtz raconte à Willard qu’au cours d’une mission, sa section avait reçu l’ordre de vacciner des enfants vietnamiens. Lorsque les troupes américaines quittèrent le village, les Vietcongs coupèrent aussitôt tous les bras vaccinés. Kurtz fut subjugué par cet acte de barbarie : « Quelle volonté pour faire ça, ils étaient les plus forts pour supporter tout cela. Ce ne sont pas des monstres mais des cadres entraînés, des soldats courageux aimant leur famille, leurs enfants. Si j’avais dix divisions de ces hommes de troupes, nos problèmes ici seraient très vite réglés ».
La cruauté des Vietcongs est démesurée dans Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter, M. Cimino, 1978). Pour beaucoup de critiques, le film détourne la vérité historique en présentant les Vietnamiens comme des bourreaux, et les Américains comme leurs héroïques victimes. La célèbre séquence de la « roulette russe » fut au centre de la polémique. Selon Cimino : « Il y a des gens qui témoignent avoir vécu ces moments-là et d’autres qui trouvent inconcevable que cela ait pu arriver, puisse arriver. (…) Or, j’ai parlé à des gens qui ont vécu cela. Pour moi c’était un moyen de choquer le spectateur au point d’accepter qu’on lève le blocage qui a si longtemps persisté sur cette guerre »(4). Les journalistes interrogent les vétérans afin de savoir si les Vietnamiens avaient eu recours à de telles pratiques. Certains donnent raison au réalisateur, tandis que d’autres le réfutent catégoriquement.
Ce type de représentation de l’ennemi a inspiré toute une génération de films revanchards. Le plus bel exemple de la « perversité » de l’adversaire reste Portés disparus 2 (Missing in Action 2, L. Hool, 1985). Le colonel Braddock (C. Norris) croupit dans un camp de prisonniers dirigé par le colonel Yin (S.-Tek Oh), qui invente toute sorte de torture pour briser la volonté du protagoniste (il l’oblige notamment à mettre sa tête dans un sac rempli de rats affamés). On ne peut nier l’inspiration raciste de ce genre de réalisation, qui déshumanise le soldat vietcong. Les films revanchards voudraient démontrer au spectateur que les marines ont connu l’enfer au Vietnam, alors qu’au même moment, une grande partie de l’opinion condamnait injustement l’action de l’armée américaine.
Le mouvement d’opposition à la guerre constitue un autre facteur important qui expliquerait, dans le cinéma-Vietnam, la défaite des Etats-Unis. Le contestataire, à l’instar du Vietnamien, est fréquemment caricaturé par les cinéastes. Il est présenté comme un ingrat, qui condamne le soldat américain sans tenter de se mettre à sa place. L’image de l’opposant à la guerre se confond la plupart du temps avec celle du hippie, ce qui relève bien évidemment de l’imaginaire. Cette représentation réductrice nous éloigne considérablement de la réalité du « Mouvement », qui se caractérise en fait par son hétérogénéité.
Hamburger Hill (J. Irvin, 1987) révèle la méchanceté des contestataires. Un G. I. avance que les hippies aiment tout le monde, sauf les soldats qui ont combattu au Vietnam. Il raconte qu’un homme de son quartier est harcelé par des appels anonymes. Ce sont « des jeunes, des étudiants ; il lui disent que c’est tant mieux, si son fils s’est fait tuer au Vietnam comme une bête sauvage par l’héroïque armée du peuple ». Les sacrifices des militaires ne sont pas reconnus par l’opinion, ce qui diminue leur moral et leur volonté de vaincre l’ennemi.
Nixon (O. Stone, 1995) évite quant à lui de diaboliser le mouvement de contestation. En mai 1970, le Président des Etats-Unis rencontre des jeunes américains opposés à la guerre, qui manifestent au pied du Capitole. Nixon tente d’établir maladroitement le dialogue avec eux en leur parlant de football. Il leur explique ensuite qu’il veut signer une paix dans l’honneur et ne pas retirer trop vite les troupes du Vietnam. Un jeune homme l’interrompt : « Il y a quelque chose que vous devez comprendre monsieur Nixon, si la cause est juste, nous sommes tous prêts à mourir ». L’argumentaire du personnage, tout comme sa tenue soignée, détonne par rapport aux archétypes habituels du contestataire. Ce type de représentation est cependant extrêmement rare dans le cinéma-Vietnam.
Les dizaines de milliers de morts, la défaite militaire, les révélations sur le massacre de My Lai et les antagonismes qui divisent l’opinion provoquent un profond malaise au sein de la société américaine. Le syndrome de la guerre du Vietnam a ainsi touché plusieurs couches de la population, et en premier lieu les soldats qui reviennent du front et qui sont traumatisés par l’expérience de la guerre.

Le problème de l’ancien combattant

Le vétéran du Vietnam est un personnage de fiction qui occupe une place primordiale dans la culture américaine. Il est présent dans d’innombrables séries télévisées (Starsky et Hutch, Magnum, L’agence tout risque, Les Simpson, etc.), et apparaît dans des genres cinématographiques aussi divers que le film policier, comme L’année du dragon (Year of the Dragon, M. Cimino, 1985), le cinéma érotique, tel que Supervixens (R. Meyer, 1975) ou encore le film d’horreur, dont House (S. Miner, 1986) est l’un des exemples les plus réussis.
L’ancien combattant est représenté la plupart du temps comme un marginal qui revient d’une contrée lointaine, dévastée par la guerre. Désespéré et incompris, il est continuellement hanté par ce qu’il a vécu au Vietnam. Voyage au bout de l’Enfer exprime admirablement le problème de la réintégration du vétéran dans la société. Michael (R. De Niro) revient dans une ville qui n’a pas été touchée par le mouvement de contestation ou par la crise sociopolitique des années 1960. Toute référence à la réalité de la guerre gène profondément les habitants ; nul ne sait ou ne veut évoquer le conflit. Mais la solidarité de la communauté des sidérurgistes parvient à réconforter Michael et à l’aider à retrouver sa place auprès des siens.
Cette cohésion entre l’ancien soldat et les civils est exceptionnelle dans le cinéma-Vietnam. La majorité des films sur le retour du vétéran insistent au contraire sur la marginalisation de ce dernier. Rambo (First Blood, T. Kotcheff, 1982) en est une parfaite illustration. Le shérif Will Teasle (B. Dennehy) traite John Rambo (S. Stallone) comme un paria. Le policier le juge dangereux et ne veut pas le laisser traverser sa ville. Il l’humilie en lui conseillant de couper ses cheveux et de prendre un bain. Dans la dernière partie du film, Rambo se confie à son mentor, le colonel Trautman (R. Crenna) : « Rien n’est terminé. Rien ! C’était pas ma guerre, c’est vous qui m’avez appelé, pas moi. J’ai fait ce qu’il fallait pour gagner, mais on n’a pas voulu nous laisser gagner. Je suis revenu dans le monde et j’ai vu ces larves m’attendre à l’aéroport, me conspuer comme un criminel. Ils m’ont appelé le boucher. Qui sont-ils pour dire ça ? ». Le monologue du protagoniste, malgré sa maladresse, résume l’ampleur de la détresse que peuvent ressentir les anciens combattants à l’époque où Rambo fut réalisé.
Alamo Bay (L. Malle, 1985), film américain réalisé par un cinéaste français, décrit avec précision la condition sociale des vétérans. Dhin (H. Nguyen) a fui le Vietnam peu après la guerre pour se réfugier aux Etats-Unis. Il arrive à Alamo Bay, une petite ville de pêcheurs du Sud, et découvre une population enfermée dans ses préjugés raciaux. Les vétérans haïssent les immigrés vietnamiens car ils représentent pour eux un danger économique, et bénéficieraient par ailleurs de privilèges auxquels les « vrais américains » n’ont pas accès. Le réalisateur ne sombre jamais dans une analyse manichéiste. Il dévoile avec pertinence les mécanismes de paupérisation des vétérans et dresse le portrait d’une société traumatisée par les conséquences du conflit.
Les films insistent également sur la solitude de l’ancien combattant. Celui-ci a peu d’amis et ses relations avec les femmes sont difficiles. Dans Supervixens, le shérif Harry Sledge (C. Napier) est impuissant et électrocute sa partenaire sexuelle car celle-ci l’a humilié. Il accuse de ce meurtre Clint Ramsey (C. Pitts), le petit ami de la défunte. Le policier tente d’assassiner le jeune homme à la fin du film, et espère bien cette fois « gagner sa guerre ». Mais c’est surtout Travis Bickley (R. De Niro), le protagoniste de Taxi Driver (M. Scorsese, 1976), qui reste l’une des figures emblématiques du vétéran dans le cinéma américain. Insomniaque, Travis erre dans les rues de New York et fréquente les cinémas pornographiques. Il est dégoûté par la crasse et les vices de la mégapole. Son amertume le pousse alors à devenir un justicier sanguinaire.
Aussi, les anciens combattants cherchent-ils parfois une mission à accomplir afin de redonner un sens à leur vie. Au début de Portés disparus (Missing In Action, J. Zito, 1984), Braddock se réveille après avoir fait un mauvais rêve. Les plans suivants montrent qu’il est devenu un « zombi » depuis son retour du Vietnam. Il regarde à la télévision un reportage sur les portés disparus et décide de revenir en Asie pour délivrer ses compagnons. Il espère par la même occasion venger son honneur bafoué, en parvenant cette fois à vaincre l’ennemi. Ce type de film transporte le spectateur dans un Vietnam fantasmatique. Le pays semble davantage peuplé de soldats que de civils, et les camps de prisonniers américains sont plus nombreux que les villages vietnamiens.
L’ancien combattant agit dans l’illégalité et mécontente les pouvoirs publics. Dans Retour vers l’Enfer (Uncommon Valor, T. Kotcheff, 1983), le colonel Jason Rhodes (G. Hackman), qui entraîne un commando pour aller délivrer les « MIA », est espionné par des agents du gouvernement. Ces derniers ne tentent aucune action (diplomatique ou militaire) pour rapatrier les prisonniers, et empêchent de plus les vétérans de leur porter secours. Les politiciens sont par conséquent violemment critiqués dans les films revanchards. Ils cachent la vérité à l’opinion en affirmant qu’aucun militaire américain n’est resté au Vietnam. Les intérêts financiers de l’Etat semblent plus importants que la vie des portés disparus. Rhodes dénonce cette situation lorsqu’il s’adresse à ses hommes : « L’Amérique vous prend pour des délinquants depuis le Vietnam à cause de la défaite. Aux Etats-Unis, celui qui perd est perdu, il n’est plus rien. C’est quoi un perdant ? quelqu’un qui coûte beaucoup et qui n’est d’aucun profit. C’est pour cela que l’Amérique n’ira jamais récupérer ses fils au Vietnam, ça ne lui rapporte rien ».
La critique du gouvernement est toute aussi virulente dans Rambo 2 (G. P. Cosmatos, 1985). L’administration présidentielle est symbolisée par Murdock (C. Napier), un bureaucrate sans scrupule, qui propose à Rambo de photographier des soldats américains encore captifs. Evidemment, l’ancien combattant outrepasse son ordre de mission et libère un prisonnier. Furieux, Murdock ordonne au pilote de l’hélicoptère chargé de récupérer Rambo, de l’abandonner dans la jungle. Le personnage interprété par Stallone a désormais un double combat à mener : vaincre l’ennemi et se venger du fonctionnaire qui n’a pas osé le soutenir dans son initiative. Le succès international de Rambo 2 n’empêche cependant pas la critique de souligner ses invraisemblances. Les vétérans sont de nouveau consultés, et avancent, sans renier la part divertissante du film, que celui-ci n’entretient pas de rapport avec la réalité de la guerre.
A cause de son impopularité, le conflit vietnamien n’a pas pu donner de héros à la nation. Les films revanchards permettent, quant à eux, de transformer la figure honnie de l’ancien combattant en personnage héroïque, capable d’effacer une partie du déshonneur causé par la défaite. Ces œuvres (contrairement à des réalisations comme Platoon ou Outrages, qui dénoncent les crimes de guerre américains), donnent en effet une image positive du soldat, en passant volontairement sous silence ses comportements les plus inavouables. Pour Stallone, « Il y a longtemps que l’Amérique cherchait à exprimer son patriotisme. Avec Rambo 2, je lui en donne l’occasion ». Il n’est donc pas étonnant que l’Administration reaganienne ait tenté de récupérer le discours politique du film. Après l’avoir vu, Ronald Reagan prononça une phrase restée célèbre : « Nous saurons quoi faire la prochaine fois ». Le chef d’Etat souhaitait montrer à l’opinion qu’il avait tiré un enseignement – contrairement à ses prédécesseurs – de la défaite américaine en Asie du Sud-Est(5).
Le problème du porté disparu permet enfin toutes sortes d’extravagances, comme en témoignent certains films d’horreur des années 1980. Roger Cobb (W. Katt), le protagoniste de House, est un vétéran qui écrit ses mémoires de guerre. Il raconte notamment que Ben (R. Moll), son meilleur ami, fut mortellement blessé durant un assaut. Roger refusa de l’achever et l’abandonna aux mains de l’ennemi. Plusieurs années après ces événements, le fils du romancier disparaît mystérieusement. Le protagoniste finit par découvrir que Ben est devenu un mort-vivant et qu’il retient l’enfant prisonnier dans une autre dimension. Ce monde hanté par le revenant a l’apparence de la jungle vietnamienne, terre de damnation où son âme est restée piégée. Le cauchemar de la guerre continue donc de se dérouler dans un espace-temps imaginaire, symbole de la persistance du traumatisme psychologique et social causé par le conflit. Ainsi les cinéastes, en projetant les peurs et les fantasmes de l’Amérique sur grand écran, ont participé à leur manière à la cicatrisation du syndrome vietnamien. La fonction cathartique du cinéma-Vietnam semble dès lors l’emporter sur un quelconque devoir de vérité historique, qui n’a finalement intéressé qu’un nombre restreint de réalisateurs.

Aurélien Portelli

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(1) B. STORA, Imaginaires de guerre, Editions la Découverte, 1997, 251 p.
(2) Beaucoup de vétérans considèrent Le merdier comme le meilleur film sur la guerre du Vietnam (cf. J. Roquemore, History goes to the movies, Broadway Books, 1999, p. 274). Certains historiens suivent également cette opinion (cf. F. Fitzgerald « Apocalypse Now », in M. C. Carnes, Past imperfect, New York, Owl Books Edition, 1996, p. 290).
(3) On remarque tout de même quelques exceptions. Citons le lieutenant Dan Taylor (G. Sinise) qui prouve, dans Forrest Gump (R. Zemeckis, 1994), ses compétences d’officier.
(4) Cf. A. MASSON, « Comme un cerf en automne, The Deer Hunter », in Positif, n°217, avril 1979, p. 16-20.
(5) Cf. N. Jackson, « Nothing is over ! : Rambo’s rampage », in Search and destroy, Creations Books, 2003, p. 163.

Lire également sur ce blog : « La guerre du Vietnam dans le cinéma américain ».

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