mardi 13 février 2007

Buenos Aires 1977

Claudio Tamburrini (Rodrigo De la Serna) est suspecté d’être un subversif. Il est enlevé puis séquestré de novembre 1977 à mars 1978 par la police argentine. Tout comme les autres détenus de la maison Séré, il est torturé par les agents de la junte militaire, qui ont recours aux méthodes de persuasion les plus ignobles.Buenos Aires 1977 débute par l’interrogatoire de la mère de Claudio, qui est allongée dans son salon. Les policiers sont hors-champ. Le pouvoir coercitif, tel que l’exprime Adrián Caetano, se manifeste d’abord par une voix, qui fulmine des injures et des menaces. Les tremblements de la caméra symbolisent la déstabilisation du personnage, qui voit son quotidien vaciller en quelques instants. Les flics sont en représentation. Lunettes de soleil, vêtements décontractés et gros calibres. L’un d’eux donne un coup dans la porte en pointant son pistolet, alors qu’il sait pertinemment que ses collègues sont déjà à l’intérieur. La pantomime, bien que grotesque, fonctionne à merveille. La femme est terrorisée, les arrestations vont bon train et la répression menace tout le pays.
Le cauchemar commence véritablement dans le centre de détention. Les prisonniers, menottés et enfermés dans une pièce, ne savent jamais ce que leurs tortionnaires leur réservent. A tout moment, ils peuvent entrer pour les brutaliser sans raison. Les paroles rassurantes et les concessions allègent parfois le calvaire des protagonistes. On leur accorde par exemple la grâce de manger avec des cuillères. Mais la bonté des gardiens est un autre stratagème pour affirmer leur toute puissance. Dans une dictature, les bourreaux ne sont jamais à court d’humiliations. Certaines séquences rappellent d’ailleurs la société totalitaire évoquée par Orwell dans 1984. Les victimes, après plusieurs mois d’incarcération, sont méconnaissables. Les geôliers leur tendent une glace pour qu’ils prennent conscience de leur décrépitude. Anéantir l’esprit en brisant le corps, c’est rappeler comment O’Brien est venu à bout de la résistance de Winston :
« Maintenant, tournez-vous et regardez-vous dans le miroir. Voyez-vous cette chose en face de vous ? C’est le dernier homme » (cf. 1984, Editions Gallimard, p. 326).
Caetano exclut souvent du champ le matraquage des prisonniers. La peur repose moins sur la monstration de la torture que sur ses effets psychologiques. Le réalisateur préfère également filmer les contusions plutôt que de s’attarder sur les coups. Mais quelques bonnes idées et une interprétation convaincante (on note en particulier la performance de R. De la Serna), ne suffisent pas à nourrir la narration, qui s’épuise rapidement. Le scénario ne contient aucun rebondissement (hormis la fuite) et se contente de décrire laborieusement l’expérience des personnages. Malgré une bande-son oppressante (bruits de pas, hurlements), la terreur s’étiole peu à peu à cause de l'aspect répétitif des situations. On est bien loin de Salo ou les 120 journées de Sodome,
où les formes de la barbarie sont renouvelées dans chaque séquence.
L’objectif de Caetano est de montrer que des actes impensables ont été commis dans une banale villa de Buenos Aires. Pourtant, celle-ci n’est jamais filmée comme une battisse ordinaire. Les décadrages et les plans en contre-plongée de la façade rappellent davantage la maison d’Amityville et non une modeste demeure bourgeoise. Que des maléfices soient perpétrés dans un tel lieu n’a rien d’étonnant. Par conséquent, les références au cinéma d’horreur – bien qu’utiles pour signifier le chaos et l’effroi – ne servent pas les intentions du cinéaste.
Autre regret, le titre original du film,
Crónica de una fuga, dévoile le déroulement de l’intrigue. L’attente du spectateur, lassé par une succession de scènes fadasses, sera certainement déçue. Une fenêtre s’ouvre et l’évasion se déroule sans accroc, lors d’une nuit d’orage. La suite ne ménage pas plus de surprises. Caetano a sans doute voulu respecter à la lettre le témoignage des survivants. Faux problème du film à caractère historique. Un réalisateur, contrairement à un historien, n’est pas obligé de produire un récit d’événements vrais. Il peut réinventer les faits qu’il souhaite relater, et offrir ainsi de nouveaux potentiels narratifs à sa reconstitution du passé. Marc Ferro l’a jadis démontré dans son étude sur Le cuirassé Potemkine.
Le film a tout de même le mérite de raconter les exactions du Gouvernement argentin entre 1976 et 1978 (peu relatées dans les manuels scolaires), sans pour autant s’égarer dans un exposé hagiographique. Face aux méthodes expéditives de la police, certaines victimes n’hésitent pas à dénoncer des innocents pour protéger leurs amis guérilleros. Le principal intérêt de
Buenos Aires 1977 est donc de montrer que les personnages torturés sont victimes, mais jamais des héros.

Aurélien Portelli

AIRES 1977 (CRONICA DE UNA FUGA)
Réalisation :
Adrián Caetano. Interprétation : Rodrigo de la Serna, Pablo Echarri, Nazareno Casero. Origine : Argentine. Durée : 1h42. Année : 2007.

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