Ed Wood, le biopic que Burton a consacré en 1994 au pire réalisateur de l’histoire du cinéma, a permis aux cinéphiles du monde entier de redécouvrir le personnage inégalable de Bela Lugosi (interprété par Martin Landau, oscarisé pour sa performance). Cet acteur d’origine hongroise fut le principal interprète du premier Dracula du cinéma parlant (Tod Browning, 1931). Il s’illustra, à la fin d’une carrière chaotique, dans des navets fulgurants comme Glen or Glenda (1953), Bride of the Monster (1956) et Plan Nine from Outer Space (1958), tous trois réalisés par Wood.
Grâce au film de Burton, Lugosi connaît aujourd’hui un succès posthume planétaire. Ses innombrables fans ne cessent donc de réclamer la rediffusion de ses prestations cinématographiques. Pour les satisfaire, la société Avanti a réédité en DVD quelques oeuvres exceptionnelles dans lesquelles le comédien a pu tourner. Scared to Death, nanar en couleur réalisé par Christy Cabanne, est peut-être le joyau de cette collection.
Le scénario est d’un ennui effroyable. Une morte raconte son histoire. Il s’agit de Laura, une danseuse d’origine française (il faut l’entendre baragouiner, avec un accent incompréhensible, « Va-t-en vite espèce de cochon ! »), qui habite dans la vaste demeure de son époux et de son beau-père, le Dr Ee. Ce dernier tente de guérir ses crises d’hystérie et sa paranoïa, causées par une vague menace pesant sur elle. Un mystérieux personnage, incarné par Lugosi, dont l’utilité reste inconnue tout au long du film, s’installe pour quelques jours dans la maison. Bientôt, des phénomènes étranges se produisent : Laura reçoit un paquet contenant un masque à son effigie, la domestique s’évanouit en portant un message à ses employeurs, tandis qu’un homme au visage recouvert d’un masque bleu se cache derrière les rideaux. On l’aura compris, Scared to Death est un thriller horrifique riche en rebondissements.
On ne compte pas les incohérences scénaristiques. Par exemple, Lugosi demande à la domestique s’il se trouve bien dans la maison du Dr Ee. Dans les séquences suivantes, le spectateur, effaré, apprend que le personnage est le cousin du médecin et que la résidence est un ancien asile d’aliénés qu’il connaît en fait dans ses moindres recoins. En effet, Lugosi a installé des passages secrets dans toutes les pièces, pour que les gardiens puissent surveiller les patients à leur insu.
Scared to Death reste néanmoins intéressant car il évoque un parfait spécimen de film de série Z réalisé dans les années 1940. Durant 68 minutes, on assiste à une séance de mauvais théâtre filmé. Le réalisateur évacue quasiment toute notion de contre-champ en plaçant continuellement les protagonistes de profil sur une même ligne. Les changements d’axe sont donc peu fréquents, tandis que les plans américains se succèdent, et tentent péniblement de faire progresser l’intrigue. La caméra est le plus souvent statique ; le spectateur attentif relèvera tout de même quelques panoramiques paresseux. On ne compte pas le nombre de faux raccords (le monteur a dû être engagé à temps partiel...). Les dialogues sont infâmes et la direction des acteurs est quasiment inexistante. Les plus expressifs se livrent quant à eux à de spectaculaires numéros de cabotinage. Rarement le langage cinématographique n'a été aussi indigent.
Les situations sont grossièrement amenées. Le réalisateur tente d’amener le spectateur à soupçonner chaque protagoniste. Premier inscrit sur la liste, Lugosi est un hypnotiseur qui n’hypnotise personne, mais qui adore écouter aux portes. Du moins c’est ce qu’il affirme dès qu’il fait une apparition à l’écran. Malgré ses étonnantes capacités d’interprétation, le réalisateur ne fait quasiment pas appel à ses services. On se demande donc pour quelle obscure raison il a été engagé. Cabanne le garderait-il en réserve pour le dénouement ? Même pas. Il se contente de le faire entrer et sortir du cadre de temps à autre (certainement pour justifier son cachet), sans obéir à la moindre logique narrative.
Lugosi est toujours accompagné par un nain. On espère rapidement que celui-ci suscite enfin quelques dialogues savoureux. Déception : le personnage est sourd-muet. Son utilisation est purement exotique : le pauvre bonhomme a été embauché pour que sa démarche grotesque divertisse le public.
Afin de rendre le scénario encore plus burlesque (ce dont il n’avait pas vraiment besoin), un détective privé, sensé protégé Laura, joue les comiques de service. L'acteur aurait certainement beaucoup apporté au film s’il avait eu l’intelligence de ne pas y participer. Son rôle d’abruti congénital est accablant. Il agite avec frénésie ses poings à la manière d’un boxeur, tombe en bas de l’escalier, pousse des cris ridicules, tente de séduire la bonne. Il prononce également des sentences pleines d’esprit. « Il y a un bel arbre dans la cour, mais il n’a pas de noix de coco », « Ah l’Europe, c’est là que les choses se passent ! », ou encore « Lilly Beth : je lui demande une tasse de café depuis ce matin mais elle se fiche de mon métabolisme. Métabolisme… Joli mot. Je me demande ce qu’il veut dire ». Ses interventions sont mémorables.
Le détective veut résoudre un crime pour réintégrer la police (pauvre police). Le problème, c’est qu’il n’y a pas de crime durant la majeure partie de la narration. Le montage tente donc de créer une atmosphère morbide en intégrant fréquemment le même plan (de quelques secondes) du cadavre de Laura, qui se trouve à la morgue. L’instance narratrice s’exprime donc de l’au-delà. « Oui j’avais peur, peur de ma vie ». Ses commentaires sont aussi nécessaires qu’éloquents. Les transitions entre les flash-back et le temps premier du récit sont assurées par des fondus, avec effets flous et vocalises en prime. Difficile de faire mieux.
Au final, le spectateur découvrira que l’énigme du masque bleu est liée à la bigamie, aux camps de concentration, à la fourberie des nazis et enfin au travestisme. Quel cinéphile peut rêver d’un meilleur film ? Les amateurs de Wood sans doute.
Grâce au film de Burton, Lugosi connaît aujourd’hui un succès posthume planétaire. Ses innombrables fans ne cessent donc de réclamer la rediffusion de ses prestations cinématographiques. Pour les satisfaire, la société Avanti a réédité en DVD quelques oeuvres exceptionnelles dans lesquelles le comédien a pu tourner. Scared to Death, nanar en couleur réalisé par Christy Cabanne, est peut-être le joyau de cette collection.
Le scénario est d’un ennui effroyable. Une morte raconte son histoire. Il s’agit de Laura, une danseuse d’origine française (il faut l’entendre baragouiner, avec un accent incompréhensible, « Va-t-en vite espèce de cochon ! »), qui habite dans la vaste demeure de son époux et de son beau-père, le Dr Ee. Ce dernier tente de guérir ses crises d’hystérie et sa paranoïa, causées par une vague menace pesant sur elle. Un mystérieux personnage, incarné par Lugosi, dont l’utilité reste inconnue tout au long du film, s’installe pour quelques jours dans la maison. Bientôt, des phénomènes étranges se produisent : Laura reçoit un paquet contenant un masque à son effigie, la domestique s’évanouit en portant un message à ses employeurs, tandis qu’un homme au visage recouvert d’un masque bleu se cache derrière les rideaux. On l’aura compris, Scared to Death est un thriller horrifique riche en rebondissements.
On ne compte pas les incohérences scénaristiques. Par exemple, Lugosi demande à la domestique s’il se trouve bien dans la maison du Dr Ee. Dans les séquences suivantes, le spectateur, effaré, apprend que le personnage est le cousin du médecin et que la résidence est un ancien asile d’aliénés qu’il connaît en fait dans ses moindres recoins. En effet, Lugosi a installé des passages secrets dans toutes les pièces, pour que les gardiens puissent surveiller les patients à leur insu.
Scared to Death reste néanmoins intéressant car il évoque un parfait spécimen de film de série Z réalisé dans les années 1940. Durant 68 minutes, on assiste à une séance de mauvais théâtre filmé. Le réalisateur évacue quasiment toute notion de contre-champ en plaçant continuellement les protagonistes de profil sur une même ligne. Les changements d’axe sont donc peu fréquents, tandis que les plans américains se succèdent, et tentent péniblement de faire progresser l’intrigue. La caméra est le plus souvent statique ; le spectateur attentif relèvera tout de même quelques panoramiques paresseux. On ne compte pas le nombre de faux raccords (le monteur a dû être engagé à temps partiel...). Les dialogues sont infâmes et la direction des acteurs est quasiment inexistante. Les plus expressifs se livrent quant à eux à de spectaculaires numéros de cabotinage. Rarement le langage cinématographique n'a été aussi indigent.
Les situations sont grossièrement amenées. Le réalisateur tente d’amener le spectateur à soupçonner chaque protagoniste. Premier inscrit sur la liste, Lugosi est un hypnotiseur qui n’hypnotise personne, mais qui adore écouter aux portes. Du moins c’est ce qu’il affirme dès qu’il fait une apparition à l’écran. Malgré ses étonnantes capacités d’interprétation, le réalisateur ne fait quasiment pas appel à ses services. On se demande donc pour quelle obscure raison il a été engagé. Cabanne le garderait-il en réserve pour le dénouement ? Même pas. Il se contente de le faire entrer et sortir du cadre de temps à autre (certainement pour justifier son cachet), sans obéir à la moindre logique narrative.
Lugosi est toujours accompagné par un nain. On espère rapidement que celui-ci suscite enfin quelques dialogues savoureux. Déception : le personnage est sourd-muet. Son utilisation est purement exotique : le pauvre bonhomme a été embauché pour que sa démarche grotesque divertisse le public.
Afin de rendre le scénario encore plus burlesque (ce dont il n’avait pas vraiment besoin), un détective privé, sensé protégé Laura, joue les comiques de service. L'acteur aurait certainement beaucoup apporté au film s’il avait eu l’intelligence de ne pas y participer. Son rôle d’abruti congénital est accablant. Il agite avec frénésie ses poings à la manière d’un boxeur, tombe en bas de l’escalier, pousse des cris ridicules, tente de séduire la bonne. Il prononce également des sentences pleines d’esprit. « Il y a un bel arbre dans la cour, mais il n’a pas de noix de coco », « Ah l’Europe, c’est là que les choses se passent ! », ou encore « Lilly Beth : je lui demande une tasse de café depuis ce matin mais elle se fiche de mon métabolisme. Métabolisme… Joli mot. Je me demande ce qu’il veut dire ». Ses interventions sont mémorables.
Le détective veut résoudre un crime pour réintégrer la police (pauvre police). Le problème, c’est qu’il n’y a pas de crime durant la majeure partie de la narration. Le montage tente donc de créer une atmosphère morbide en intégrant fréquemment le même plan (de quelques secondes) du cadavre de Laura, qui se trouve à la morgue. L’instance narratrice s’exprime donc de l’au-delà. « Oui j’avais peur, peur de ma vie ». Ses commentaires sont aussi nécessaires qu’éloquents. Les transitions entre les flash-back et le temps premier du récit sont assurées par des fondus, avec effets flous et vocalises en prime. Difficile de faire mieux.
Au final, le spectateur découvrira que l’énigme du masque bleu est liée à la bigamie, aux camps de concentration, à la fourberie des nazis et enfin au travestisme. Quel cinéphile peut rêver d’un meilleur film ? Les amateurs de Wood sans doute.
Aurélien Portelli
SCARED TO DEATH
Réalisation : Christy Cabanne. Interprétation : Bela Lugosi, Nat Pendleton, Joyce Compton, George Zucco, Molly Lamont. Origine : Etats-Unis. Genre : film horrible. durée : 68 min. Année : 1947.
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