mercredi 21 juin 2006

Antipathie pour Lady Baroque

Geum-ja (Yeong-ae Lee) a été emprisonnée pendant 13 ans pour un crime qu’elle n’a pas commis. Une fois libérée, elle applique la vengeance qu’elle a savamment élaborée durant sa détention.
La première partie de
Lady Vengeance alterne le passé et le présent de Geum-ja. La taule et le retour à la vie civile. L’angélisme et la furie vindicative. Le réalisateur en profite même pour donner quelques indications sociologiques sur le comportement des femmes et les rapports de domination qui s’établissent en prison. Mais le sujet du film est ailleurs, et c’est bien dommage.
Le film présente des atouts esthétiques indéniables : mouvements de caméra audacieux, variation chromatique des plans qui s'assombrissent à l'instar du récit, belle lumière signée par Chung Chung-hoon (le chef op de Old Boy), superbes cadrages (certains plans moyens sont de purs bijoux), etc. Les premiers doutes apparaissent cependant avec les effets de balayage et de fondu, fautes de goût qui tirent Lady Vengeance vers le petit film de famille. Et là, on commence à se demander si, à force d’en faire, Park Chan-wook n’en fait pas trop. La réponse est évidente : « too much is never enough ».
Le réalisateur opte en effet pour un style maximaliste et un éclectisme foisonnant. En témoigne la bande musicale de Cho Young-wuk, splendidement rococo. Il fallait tout de même oser, mettre du baroque sur du baroque. Encore un peu, et le film était tourné dans les châteaux de Bavière…
Dès lors, on ne peut plus regarder l'aspect plastique du film avec autant de bonheur. La préciosité assumée des plans ne parvient pas à dissimuler l’essoufflement du cinéaste qui, pour la troisième fois après
Sympathy for Mister Vengeance et Old Boy, réactive la thématique la plus racoleuse du monde. Et c’est avec chagrin que l’on se rend à l’évidence : Park Chan-wook nous offre avec Lady Vengeance une bonne tarantinade, où chaque plan a la prétention de délivrer une leçon de cinéma. Ce n’est plus un film, c’est un cours de grammaire. Le réalisateur semble être victime du « syndrome du snowboarder » : il lui faut, pour marquer des points, multiplier les figures et les acrobaties. En somme épuiser tout son répertoire stylistique. Les graines de Tarantino poussent également en Asie. Le continent est en deuil. Nous aussi.
Assurément, le spectateur candide pensera que la surcharge d’effets de style permet à Park Chan-wook de réaliser un film personnel. Comme si un plan sans fioriture était inauthentique... Mais comment ne pas justement penser le contraire ? Ne pas faire de choix et vouloir tout mettre, voilà une démarche totalement impersonnelle ! Pourtant, ce type de cinéma continue d’impressionner et de flatter l’œil. Les plans débordent de toute part et le public se sent rassuré : il n’a pas dépensé son argent pour rien.
N’évoquons même pas le fond de l’œuvre, qui présente une interrogation saugrenue sur la valeur cathartique de la vengeance. Prétexte à exploiter, dans la dernière partie du film, le fantasme de tous les parents : pouvoir torturer les tueurs d’enfants. Rééquilibrage de l’ordre cosmique et petite affaire privée.
Lady Vengeance engage donc une réflexion sur le cinéma contemporain. Les critiques surévaluent des oeuvres peu sérieuses, tandis que les mises en scènes sophistiquées changent progressivement le goût du public. Quand on regarde le niveau d’exigence de la plupart des cinéphiles, on est bien peu surpris. Une image bougeant dans tous les sens, un montage stroboscopique, des bavardages incessants sont désormais la preuve d'une oeuvre stylisée. Qu'indiquent en filigrane les milliers de commentaires qui pullulent sur les forums Internet ? Le refus du plan fixe, du plan-séquence et du silence. La condamnation de la sobriété. La peur du mystère des images. L’antidote ? Tarantino, et dans une moindre mesure, des réalisateurs un peu plus fréquentables, comme Park Chan-wook.

Aurélien Portelli

LADY VENGEANCE
Réalisation :
Park Chan-wook. Interprétation : Yeong-ae Lee, Choi Min-sik, Su-hee Go. Origine : Corée du Sud. Durée : 1h55. Année : 2005.

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