jeudi 15 juin 2006

Electric Dragon 80 000 V (Sogo Ishii, 2000)

Dragon (Tadanobu Asano) et Electric Buddha (Masatoshi Nagase) ont reçu durant leur enfance une puissante décharge électrique. Une lésion de la zone cérébrale héritée des anciens reptiles conduit Dragon à s’identifier à ces animaux. Saturé d’énergie électrique, il doit constamment se purger de la violence qui envahit son corps. Il s’exerce d’abord à la boxe anglaise, puis découvre la guitare électrique, qui devient son exutoire fétiche. Electric Buddha, qui porte un demi masque à l’effigie de la divinité, désire quant à lui affronter Dragon, pour déterminer lequel des deux a le droit de vivre.
Formellement, le film underground de Sogo Ishii se rapproche sur bien des points de
Tetsuo, réalisé par Shinya Tsukamoto. Il faut dire que les deux films ont en commun un exotisme esthétique très surprenant. Pourtant, malgré une référence explicite à l’univers de Tsukamoto, Electric Dragon 80 000 V se différencie par son discours, qui est diamétralement différent de celui de Tetsuo.
Culture underground
Sogo Ishii utilise une vaste palette technique. Le choix du noir et blanc renforce l’esprit du film, qui multiplie les références aux cinéma bis de science-fiction (la couleur aurait rompu l’homogénéité esthétique de l'oeuvre)
. La réalisation est très éclectique. Le cinéaste ose des contre-plongées et des panoramiques extrêmes. Les travellings au ras du sol sont rapides et rappellent la démarche des reptiles.
L’échelle des plans est variée. On retrouve notamment les gros plans typiques de
Tetsuo, qui mettent en valeur l’importance des objets et des instruments électroniques dans notre environnement social.
Les bruitages sont au coeur du procédé filmique. Les grésillements électriques sont amplifiés et omniprésents. Ils indiquent que Dragon risque la surtension à chaque moment. La musique électro et punk plonge quant à elle le spectateur dans une ambiance sonore saturée et pour le moins électrisante.
La voix off, brève, agressive, compense l’absence presque complète de dialogues. Aux antipodes du didactisme, elle permet d’accroître le mystère des images. Des pancartes fantaisistes sont ajoutées entre les plans, dont la calligraphie et la teneur sont des références caricaturales à l’univers de l’animation et du manga japonais. Ces références ne sont pas les seules. La séquence du combat final, très kitch, rappelle à bien des égards
Dragon Ball Z et surtout Saint Seiya. Les mouvements de Dragon imitent le chevalier Pégase qui se prépare avant un assaut.
Le montage, très dynamique, alterne souvent les coupes franches pour rompre la fluidité de certaines séquences, et les fondus enchaînés lorsqu’il s’agit de superposer l’image de l’homme et celle du reptile. Le rythme varie en fonction de l’accélération (autre référence à
Tetsuo) ou du ralentissement des mouvements des personnages, très fréquents.
Le cinéaste ne suit aucune ligne narrative, et risque l'égarement en s’attardant volontiers sur des thèmes secondaires. Il est cependant étonnant de remarquer de quelle manière le montage rattrape constamment le film. Dès que le réalisateur sent glisser sa narration, il parvient à restructurer l’ensemble, en incluant par exemple un plan de reptile, leitmotiv qui rappelle la similarité entre l'animal et le personnage.
Mythe, hérédité, devenir
Electric Dragon nous plonge dans le mystère neurologique des origines de l’homme. L’électrocution provoque chez le personnage une lésion dans une partie du cerveau héritée des ancêtres reptiliens des hominidés. Cette zone est le siège des émotions et des désirs. L’accident réveille les potentiels physiologiques que l’homme dissimule. En effet, Dragon est doué d'une force et d'une rapidité surhumaines. L'accident révèle aussi la mémoire biologique contenue dans le réseau neuronique. La fantaisie de la science-fiction permet ainsi d’inscrire l’évolution de l’espèce humaine sur une échelle temporelle macroscopique.
Le film accorde également une portée mythique aux origines du cerveau. Le préambule présente des images de reptiles tirées d’ouvrages anciens, où se confondent historicité et légende. Les retables gothiques, les gravures ou les dessins indiquent que la fable du dragon traverse l’histoire iconographique de l’Orient et de l’Occident. Sa portée est universelle. La continuité historique de l’homme s’établit ainsi dans un temps très long, entre vérité et mythe.
Le cycle des transmutations instauré dans
Tetsuo continue dans Electric Dragon. L’affrontement des personnages symbolise un double rapport au monde. L’un et l’autre ont la même origine. Chaque protagoniste a été transformé par l’énergie électromagnétique. Ce phénomène donne naissance à deux créatures mutantes. Electric Buddha connaît toutes les techniques liées à la communication. Il est l’homme cybernétique capable de maîtriser l’information. C’est donc également un homme de pouvoir, qui doit affronter son adversaire naturel : l’homme animal. Dragon incarne une forme de vie qui entre en rapport non pas avec la technologie, mais avec l’animalité qui se dissimule dans le cortex cérébral. Le voici donc au sommet de la chaîne alimentaire, par des procédés différents et sous une autre perspective que Electric Buddha. Autre prédateur, autre possibilité pour l’homme de régner sur son biotope.
Tetsuo proclamait l’avènement d’une nouvelle forme-homme. Le corps entrait en rapport avec le métal et le plastique. L’espèce humaine accédait ainsi à un stade d’évolution semi-organique. Ishii renverse le discours de Tsukamoto. La forme-animale parvient, dans Electric Dragon, à vaincre la forme-technologique. Le film célèbre ainsi la victoire des forces latentes présentes dans l’homme. Pour Ishii, le devenir de l’espèce se trouve dans le secret de ses origines. Et non dans l’utopie du progrès technique ou scientifique.
Aurélien Portelli
ELECTRIC DRAGON 80 000 V
Réalisation :
Sogo Ishii. Interprétation : Tadanobu Asano, Masatoshi Nagase. Origine : Japon. Durée : 55 mn. Année : 2000.

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