samedi 17 juin 2006

Une geisha qui ne restera pas dans les mémoires

Les studios américains regardent en direction de l'Orient. Ils produisent des copies répugnantes de films asiatiques, tels que The Ring (Gore Verbinski, 2003) ou Dark Water (Walter Salles, 2005)[1], avec les Asiatiques en moins. D'autres films jouent d'avantage sur la tonalité orientaliste. C'est le cas du Dernier Samouraï (Edward Zwick, 2004), une fiction bien gentillette, ou de Mémoires d’une Geisha, un film lisse et sans saveur. Le public, quant à lui, ne perd pas tous ses repères. L’Occidental apparaît obligatoirement dans les deux films, quitte à être montré à son désavantage. On ne peut représenter les jaunes sans y rajouter un peu de blanc, ni éviter certaines maladresses concernant la représentation de la tradition nippone. Mais le dilemme ne vient pas de l’occidentalisation du sujet abordé. Après tout, l’intérêt de ce genre d’exercice est de regarder la culture orientale à travers le prisme occidental. Cela n’épargnait pourtant pas Rob Marshall de réaliser une œuvre un peu plus aboutie.
La photographie de Mémoires d’une geisha est bien peu réjouissante. Elle repose uniquement sur l’opposition de deux types de lumière. D’abord l’orange et le noir, la flamme et la nuit, qui symbolisent l’univers charnel de la geisha ; ensuite une luminosité très vive et un feu d’artifice chromatique (surtout dans la dernière séquence) qui représentent cette fois la déstructuration de cet univers. L’idée est loin d'être mauvaise : la geisha resplendit dans les ténèbres, tandis qu’elle se désagrège dans la lumière. Elle ne permet cependant pas de sauver le film. La caméra est paresseuse, les cadrages répétitifs et l'utilisation de la profondeur de champ quasiment oubliée. La direction des actrices est tout juste passable, celle des acteurs inexistante. On a l’impression que Marshall s’ennuie à mourir, et qu’il est incapable de dissimuler cet ennui. Aucun souffle ne traverse cette œuvre qui manque cruellement de volupté et de nuances. Inconvénient bien lourd pour un film sensé dévoiler l’art crépusculaire des geishas.
Au lieu de mettre en images cet art que les Occidentaux connaissent mal, Marshall mise sur la biographie sentimentale, en ajoutant par-ci par-là quelques zestes de sensualité. On voit ainsi le poignet de Zhang Ziyi au moment de verser le thé (référence facile à l’érotisme de Wong Kar-Wai), une danse à l’éventail et une chorégraphie où le réalisateur se lance enfin dans la réalisation (multiplication des angles de vue, dynamisme du montage, mobilité du costume qui trouve enfin son utilité). Artistiquement, c’est bien faible. A aucun moment, le cinéaste n’est capable de donner le moindre relief à la gestualité de la geisha.
On assiste, dans le premier tiers du film, à une séquence hot assez surprenante : la maîtresse de maison passe deux doigts entre les cuisses de Gong Li pour recueillir le sperme de son amant. Il faut en profiter, ce sera la dernière. En réfléchissant bien, on se demande même ce que fait cette scène dans une œuvre si édulcorée.
Mais le pire reste certainement la présence inutile de la voix off, dont le didactisme est tout simplement ahurissant. On a la désagréable impression d’être pris pour un idiot, qui a besoin d'explications pour comprendre le déroulement narratif.
Evoquons enfin le scénario. Mémoires d’une geisha est adapté du roman éponyme d’Arthur Golden. On retombe ici dans le sempiternel faux problème de la fidélité d’une adaptation. Le cinéma n’a pas été inventé pour permettre aux paresseux de ne plus bouquiner. Un film dont le scénario est tiré d’un ouvrage doit réinventer le matériau littéraire en le retransposant dans un langage cinématographique approprié.
Bien au contraire, Marshall ne parvient jamais à se détacher de l'ouvrage, ou du moins à éluder ses lourdeurs. Les mécanismes narratifs sont usés et prévisibles.
Mémoires d’une geisha, c’est l’histoire de Cendrillon qui s’entraîne dur pour devenir la princesse des geishas (on n’échappe d’ailleurs pas à la séquence d’entraînement à la Rocky, et en musique s’il vous plait !). Est-ce l’arrivisme qui motive tous ses efforts ? Non, évidemment, cela aurait été trop pertinent. Ce n’est que l’amour pour le « Président » qui pousse notre verseuse de thé à devenir la meilleure. La ménagère est rassurée, elle n’a pas dépenser son ticket de cinéma pour rien.
Ne parlons même pas des dernières séquences. La geisha devient un anachronisme dû aux bouleversements socioculturels causés par l’Occupation américaine. Au lieu de condamner le personnage à l’errance où à tout autre destin adéquat, le réalisateur (qui a bien lu le livre), ne trouve rien de mieux que de clôturer l’histoire par un grossier happy end, avec baiser romantique et crescendo musical en prime. On croit rêver.
Au final, la voix off n’oublie pas de préciser :
« Nous sommes les femmes du crépuscule ». Au cas où le spectateur n’aurait pas regarder le film. Ce qui représentait d’ailleurs la plus sage des décisions.
Aurélien Portelli

[1] Le phénomène n’est pas nouveau. On se souvient des Sept mercenaires (John Sturges, 1960), adaptation westernienne des Sept Samouraïs (1954) d’Akira Kurosawa. Le réalisateur japonais avait d’ailleurs rejeté la version américaine, qui trahissait selon lui l’esprit de son film. Il considérait que le groupe de pseudo bandits dirigé par Yul Brynner était en totale inadéquation avec la chevalerie nipponne. Pour lui, ses samouraïs ne pouvaient être assimilés à des yakuzas...

MEMOIRES D’UNE GEISHA
Réalisation :
Rob Marshall. Interprétation : Zhang Ziyi, Gong Li, Michelle Yeoh. Origine : Etats-Unis. Durée : 2h20. Année : 2006.

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