vendredi 30 juin 2006

Le destin (Youssef Chahine, 1997)

Au XIIe siècle, en Andalousie, le calife el-Mansou (Mahmoud Hémeida), aidé par une secte islamique, promulgue l'autodafé des ouvrages du philosophe Averroès (Nour el-Chérif). Ses partisans décident de sauver par tous les moyens l’œuvre inestimable du maître, et de lutter par la même occasion contre les extrémistes.
Le début du
Destin ne laisse rien présager de bon. Un homme est, pour la énième fois au cinéma, brûlé vif. Les films médiévaux sont aussi codifiés que les westerns et doivent remplir leur quota de gentils hérétiques et de méchants inquisiteurs. La photographie n’est pas des plus heureuses. Multiplication de travellings optiques avant et arrière qui alourdissent la lecture des images, couleur fadasse, costumes d’opérette, typographie du générique digne d’une série télévisée.
Puis les choses s’arrangent considérablement. La photographie devient éclectique et colorée. Chahine multiplie les références aux films de genre (telles que les comédies musicales) et fait preuve d’un exotisme et d’un enthousiasme qui émerveillent le spectateur.
Un film historique doit proposer à la fois une reconstitution du passé adéquate, et une mise en équation du présent qui révèle judicieusement les enjeux et les questionnements de l’actualité.
Le destin ne répond qu’à la seconde exigence. Youssef Chahine se préoccupe peu, dans son film, de la réalité historique du royaume andalou au Moyen Age.
La raison est simple : le cinéaste évoque en fait une vision atemporelle de l’intégrisme, valable aussi bien au XIIe qu’au XXe siècle. Chahine réalise donc un film historique détourné et donne un ton contemporain à sa fresque médiévale. Le destin présente de nombreux anachronismes volontaires, comme l’utilisation d’un langage et le choix de musiques modernes. Le présentisme de l’œuvre rappelle que les problèmes sociaux du monde d’Averroès sont, pour le réalisateur, assez proches de ceux qui touchent les nations arabes actuellement.
Le destin est un film de combat, exprimant l’intégrisme intemporel qui est enraciné dans la civilisation musulmane. Selon Youssef Chahine, c’est le champ politique qui est, à juste titre, responsable de l’ascension des fanatiques.
En effet, l’administration du califat est d’abord incapable de réduire la sphère d’influence de la secte. Menacé par les manigances des intégristes, le calife décide d’utiliser les talents de persuasion de leur puissant chef pour évincer Averroès. Le souverain instrumentalise ainsi les fanatiques afin d’assurer l’assise populaire de son règne. Le destin est avant tout une dénonciation de la perversité du pouvoir politique, qui utilise dangereusement l’extrémisme religieux pour assurer la pérennité des élites en place.
L’intérêt du film est ensuite d’exposer les stratégies de la secte. Ses membres épuisent les nouvelles recrues, les abrutissent avec des idées-slogans faciles à assimiler et leur promettent le paradis. A l’inverse de ces méthodes insidieuses,
Le destin montre que l’Islam est traversé par des courants progressistes qui sont évoqués par la pensée humaniste d’Averroès. Le réalisateur dénonce également le nihilisme des intégristes qui, contrairement aux amis du philosophe, sont farouchement opposés aux plaisirs de la nourriture, de la danse, de la raison et de l’amour.
Des forces réactives et novatrices traversent l’histoire islamique et expriment la pluralité des interprétations du Coran. Le réalisateur lutte ainsi contre les lieux communs occidentaux, qui présentent souvent l’Islam comme une religion monolithique. Ce qu’elle n’a jamais été.
Aurélien Portelli
LE DESTIN
Réalisation :
Youssef Chahine. Interprétation : Nour el-Chérif, Mohamed Mounir, Mahmoud Hemeida, Khaled El-Nabaoui. Origine : France-Egypte. Durée : 2h15. Année : 1997.

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