Le film débute par une séquence chaotique où une bande de brigands, dirigée par Babalone (Alberto Bonucci) - génie du mal autoproclamé - se prépare à attaquer le carrosse du baron « Fifi » Tulicò, surnommé « le léopard ». La référence au Guépard de Visconti est évidente. L’action se déroule en Sicile durant le Risorgimento et le personnage de l’aristocrate fidèle à la dynastie des Bourbon rappelle évidemment le prince Salina. Mais cette fois, le pseudonyme animalier n’est pas seulement chargé d’une valeur allégorique, puisque le baron est accompagné d’un véritable léopard, dont il ne se sépare jamais. Exceptés quelques points de ressemblance entre les protagonistes, le film de Corbucci se détache complètement de celui de Visconti pour s’enliser dans un vaudeville disgracieux.
Le réalisateur utilise les grosses ficelles de la comédie. Margherita (Evi Marandi), alter ego italien de Jane Fonda, part en reconnaissance et s’approche du carrosse. Mais l’arrivée d’un bataillon de chemises rouges empêche les bandits de détrousser le baron. Babalone surgit soudain dans le champ. Le personnage s’est déguisé en Sicilienne et se fait passer pour la vieille maman de Margherita. Le spectateur, stupéfait, découvre que le génie du mal est un transformiste de talent. L’officier garibaldien tombe amoureux de la belle jeune femme. Croyant saisir sa main, il se trompe et embrasse celle de Babalone. La suite du film enchaînera des gags de même teneur.
On retient en particuliers l’interprétation hallucinante de Ciccio Ingracia et Franco Franci. En plus de porter à l’écran les fils du léopard, les deux acteurs ont également la lourde tâche d’incarner les parents des personnages. Ciccio joue le baron tandis que Franco interprète Maria Rosa, la maîtresse du léopard. La pauvre femme est désespérée car le baron, en quête de fortune, l’a délaissée pour épouser la fille d’un riche aristocrate. Après avoir retrouvé par un heureux hasard ses chérubins qu’elle avait abandonnés à la naissance, elle le charge de convaincre leur père de l’épouser.
Franco et Ciccio sont à la fois chanteurs ambulants, arracheurs de dents et amuseurs publics. Ensemble, ils réitèrent le couple de Laurel et Hardi – le premier est plus petit et trapu que le second. Les pitreries et les maladresses se succèdent ainsi à un rythme effréné. Dans ces conditions, il est bien évident que le Risorgimento ne représente plus qu’une lointaine référence historique.
Les fils du léopard tente, à l’instar des Cinq journées de Dario Argento, de tourner en dérision les événements qui ont conduit à l’Unité italienne. La différence entre les deux films est pourtant de taille. Argento propose une mise en récit burlesque pour dénoncer avec virulence la révolte patriotique des Milanais. Corbucci recherche seulement la dérision et ne présente aucun regard significatif sur l’histoire. La reconstitution du passé n’est qu’un prétexte pour permettre au réalisateur d’enchaîner des saynètes grotesques prétendument drôles.
On décèle malgré tout quelques éléments de représentation de l’aristocratie napolitaine durant l’expédition des Mille. Les nobles soutenant la monarchie bourbonnaise ne semblent pas perturbés par l’arrivée des troupes garibaldiennes. Ils continuent de fréquenter les cercles de jeu et de mener une vie de plaisirs. Les chemises rouges traversent le film sans avoir d’incidence directe sur la population et semblent jouer un rôle de simples figurants. Leur seule utilité est de lutter contre les hordes de brigands, qui infestent la Sicile. Babalone et ses complices profitent néanmoins de la confusion politique pour mener de nouvelles exactions. Ils décident alors d’enlever les deux personnages principaux afin de rançonner leur père. Les troupes de François II rejoignent les bandits dans leur antre et leur demandent de combattre avec eux les partisans de Garibaldi. La scélératesse du roi est double : en plus de laisser proliférer les bandes criminelles, il n’hésite pas à recourir à des moyens illégaux pour lutter contre ses ennemis politiques. Face à un tel comportement, la révolution est bien justifiée.
Margherita, partisane des révolutionnaires, parvient à s’enfuir avec Franco et Ciccio en les déguisant en officiers. Les protagonistes, contrairement à la jeune femme, sont des opportunistes et n’ont aucune conscience politique. Ils crient « Vive les Bourbon ! » face aux soldats de François II et « Vive Garibaldi ! » lorsqu’ils rencontrent des chemises rouges. Dans la séquence suivante, ils sont pourchassés par des garibaldiens qui les prennent pour leurs ennemis. Les protagonistes se dissimulent dans un tonneau de raisin. En ressortant, leur chemise est devenue rouge… C’est au tour de l’armée bourbonnaise de les capturer et de les condamner à mort pour trahison. Ils sont sauvés de justesse par les garibaldiens qui repoussent le bataillon ennemi, composé d’incapables et de lâches, qui se dispersent sans opposer de résistance.
La scène la plus ridicule reste celle où Babalone se fait passé pour le baron et s’enfuit avec une cassette remplie de pièces d’or, qui se répandent sur le sol, provoquant la chute « hilarante » de ses poursuivants. Les deux frères ne reconnaissent pas l’imposteur et ont la géniale idée, pour lui venir en aide, de lancer des tartes à la crème à la figure des chemises rouges… Le bandit est finalement arrêté, le baron décide d’épouser Maria Rosa et reconnaît ses deux fils, pour la plus grande joie de leur mère. Tout se termine bien dans cette farce saugrenue, qui rappelle que le cinéma italien eut aussi, durant sa période dorée, ses « Rousseau des ruisseaux ».
Aurélien Portelli
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