dimanche 25 février 2007

The Great Ecstasy of Robert Carmichael

Dès les premiers plans, la musique souligne le caractère ambigu de Robert Carmichael : violoncelliste virtuose, drogué et criminel en devenir. Tout cela à la fois. L’utilisation des instruments à corde permet ainsi de décrire avec précision toutes les nuances psychologiques de l’adolescent. Le renfermement, la rage, la détresse. Dans une séquence dérangeante, Robert se masturbe. Une fois son plaisir tristement assouvi, il baisse la tête, en signe de renoncement. C’est à partir de ce geste que le drame se met en place.
Les séquences alternent plusieurs portraits de famille d’une petite ville portuaire de Grande-Bretagne, touchée de plein fouet par la crise économique et le chômage. Une star de télé vient s’y installer avec sa belle épouse et sa Porsche, sans imaginer le moindre instant que leur présence puisse susciter rancœur et jalousie. Mais derrière la banalité du quotidien, se trame une tragédie qui mettra en lumière la face sombre de cette communauté, en apparence bien tranquille.
Loin des films habituels sur la jeunesse en perdition, The Great Ecstasy of Robert Carmichael fait apparaitre une esthétique dépouillée. La mise en scène va à l’essentiel en allégeant volontairement le langage cinématographique. Les longs plans fixes montrent telle quelle la réalité sordide des protagonistes. Quelques travellings latéraux font quant à eux glisser le regard du spectateur sur les toxicomanes, qui ne suscitent aucun sentiment d’empathie. Thomas Clay, le réalisateur, met de côté le folklore et les rituels de la drogue – les trips ne sont ni réjouissants ni sordides, ils sont simplement montrés, sans recourir à la moindre dramatisation.
Les images croisent plusieurs formes d’éducation. Alors que le père de Joe regarde la télé sans prêter la moindre attention à son fils, la mère de Robert le fait répéter, en vue de son premier concert. Elle ne l’abandonne pas à son sort, mais ne s’aperçoit pas que son enfant est à la dérive. L’adolescence est l’âge de tous les dangers, et nul parent, aussi dévoué soit-il, ne peut empêcher certains événements de se produire. Le professeur d’histoire, qui tente de développer chez ses élèves un embryon de bon sens, n’obtiendra pas plus de résultats. Les images d’archives (à un moment totalement improbable) sur la lutte des Britanniques durant la Seconde Guerre mondiale, affichent d'ailleurs ironiquement la faillite des valeurs et des idéaux incarnés par une nation qui s'est héroïquement dressée contre le IIIe Reich.
Première épreuve pour le public : après avoir absorbé un cocktail de drogues, trois garçons s’enferment dans une pièce avec une copine de classe. Robert est trop défoncé pour les rejoindre. Tout se passe derrière la porte qui sépare le living-room et la chambre. C’est le cadrage qui permet à la séquence de fonctionner. La porte est là, fermée. C’est elle qui se trouve au centre de l’image. D’un côté Robert, qui est affalé dans un fauteuil ; de l’autre un jeune totalement détaché, qui mixe sur ses platines. On entend les hurlements off de la fille et on imagine sans difficulté le déroulement du viol collectif. La scène est insoutenable. Rarement un mur n’a caché si peu de choses. La tension narrative, à partir de là, ne cessera d'augmenter.
Robert Carmichael reste une énigme. Le cinéaste décrit admirablement le caractère incompréhensible du personnage, ainsi que sa violence intérieur, explosive, qui se manifeste à la fin du film. La scène, d'une horreur indescriptible, est filmée en plan d'ensemble. Le spectateur a l'impression d'assister à une pièce de théâtre macabre. Le procédé, loin de manifester une prise de distance, inclut au contraire le public dans un jeu de voyeurisme, qui révèle l'échec d'une société devenue spectatrice de son impuissance face aux monstres qu'elle engendre. 

Aurélien Portelli

THE GREAT ECSTASY OF ROBERT CARMICHAEL
Réalisation : Thomas Clay. Scénario : Thomas Clay, Joseph Lang. Photographie : Yorgos Arvanitis. Interprétation : Daniel Spencer, Ryan Winsley, Charles Mnene, Lesley Manville. Durée : 96 min. Année : 2006.

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