lundi 14 décembre 2009

2eme sous-sol

Alexandre Aja et Grégory Levasseur, après Haute tension et La colline a des yeux, explorent de nouveau le domaine de l'horreur en signant le scénario de 2e sous-sol, dont la réalisation a été confiée à Franck Khalfoun. Ce conte de Noël cauchemardesque joue sur deux registres : le survival qui ne se noie pas dans l'hémoglobine (on compte seulement trois séquences gores) et l'expérience psychologique vécue par deux personnages antagonistes (l'un tentant d'échapper à l'autre). L'histoire, très simple, s'inscrit dans le sillage de Creep. Angela (Rachel Nichols) quitte tardivement le cabinet juridique où elle travaille pour aller réveillonner avec sa famille. Mais sa voiture refuse de démarrer et elle se retrouve coincée dans l'immeuble. Thomas (Wes Bentley), le gardien du parking souterrain, la capture et la force à passer la soirée en sa compagnie.
Le jeune homme est un psychopathe qui, telle l'infirmière de Misery, prend soin de sa victime pour mieux en jouir. Il multiplie les sourires et les paroles rassurantes, s'inquiète de la bonne température du dîner, joue les bons samaritains prêts à pardonner les petits écarts de conduite — en l'occurrence, une fourchette qu'Angela lui plante dans le dos. Comme Bartel dans Calvaire, Thomas perd le sens de la réalité et refuse de concéder à son « hôte » le statut de souffre-douleur. Angela n'est pas considérée comme une prisonnière, mais comme une invitée consentante. Le gardien se présente même comme son bienfaiteur, tentant de lui rendre sa dignité de femme, bafouée par un collègue trop entreprenant. Ce qui ne l'empêche pas, à son tour, de faire de sa protégée un objet sexuel et de la terroriser.
La confusion qui règne dans son esprit est d'ordre professionnel. Confiné dans un boulot peu stimulant, privé d'interlocuteurs, Thomas est l'archétype du frustré, qui observe, depuis sa cabine, les allers et venues des vainqueurs du capitalisme, avocats, hommes d'affaires remplis d'arrogance, munis de « leurs beaux diplômes de merde », habitants du monde d'en haut. La seule puissance qu'il peut exercer est de visionner, sur ses écrans monochromes, des fragments d'existences filmés dans un ascenseur ou au détour d'un couloir, maigre privilège du mateur, condamné à demeurer le spectateur de la vie des autres, sur laquelle il est censé veiller.
C'est là que ce huis clos révèle son intérêt, malgré des effets sonores convenus et une photographie qui n'exploite pas suffisamment les gammes de clair-obscur du parking. Dans un plan, on peut lire l'inscription sur la porte de la cabine de Thomas : « Security », cette divinité qui finit par se retourner contre ses propres idolâtres. Il faut dire que la rancœur et l'isolement ne font pas bon ménage. Thomas décide de prendre sa revanche sur les nantis et de se rendre maître du corps d'Angela, qu'il convoite depuis des mois. L'utopie sécuritaire est donc renversée — les auteurs reprennent un peu le thème développé par Romero dans Le Territoire des morts, où les riches pensent se prémunir des zombies dans leur résidence hautement sécurisée.
La situation extrême à laquelle est confrontée Angela réveille son instinct de survie. Et comme dans La colline a des yeux, la victime se met à absorber l'énergie destructrice de son persécuteur et parvient à en user contre lui. L'ange, d'abord immaculé, se retrouve souillé de sang des pieds à la tête. Nul n'est immunisé contre la rage. 2e sous-sol est ainsi une œuvre efficace qui propose, par-delà son inventaire de comportements névrotiques, une synthèse intelligente du cinéma d'horreur actuel.


Aurélien Portelli 
Jeune cinéma, n°315-316, printemps 2008, pp. 120-121.

P2. 
Réalisation : Franck Khalfoun. Scénario : Alexandre Aja, Grégory Levasseur. Photographie : Maxime Alexandre. Interprétation : Rachel Nichols, Wes Bentley, Simon Reynolds (USA, 2008, 98 min.).

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