dimanche 28 mars 2010

Le metteur en scène de mariages


La lumière revient et Marco Bellocchio, accompagné par Jean A. Gili, prend la parole face au public du cinéma Jean Vigo. L’assemblée est enthousiaste et semble être encore plus impressionnée par le prestige du cinéaste. Il faut rajouter qu’avant sa projection à Nice, Le réalisateur de mariages avait déjà été présenté au Festival de Cannes 2006 dans la section « Un Certain Regard ». On avait ainsi l’impression, ce soir là, d’assister à une sorte d’événement (amplifié par les problèmes de distribution que rencontre le film en France). Les prises de parole, toutes favorables, se succèdent – même si la pertinence n’est pas forcément de rigueur. Un spectateur manifeste cependant quelques réserves. Celui-ci dit ne pas avoir vu le même film que les autres. Pour lui, il s’agit d’un simple exercice de style. Le réalisateur, toujours charmant, défend son film. Sans être entièrement d’accord avec l’une ou l’autre intervention, on peut néanmoins s’interroger sur les intentions de Bellocchio. 
Celui-ci adopte une approche éclectique qui repose sur la multiplication de situations improbables et sur un montage toujours en quête de rupture. C’est la gageure du cinéaste. Il veut étonner à tout prix le spectateur, par une fantaisie et une liberté de ton qu’il renouvelle dans chaque séquence. Si l’inspiration ne lui fait jamais défaut, il arrive néanmoins un moment où la volonté de briser la structure rationnelle du film en devient indigeste. On étouffe, submergé par un cortège de scènes invraisemblables, qui ne répondent jamais, selon l’auteur, à la moindre gratuité formelle. Certes, il est avant tout intéressé par le cheminement – pour le moins déroutant – des personnages. Mais justement, on est si absorbé par le refus de tout réalisme que l’on oublie peu à peu de chercher la cohérence narrative de l’œuvre. L’histoire est pourtant simple. Franco Elica, un célèbre metteur en scène, est engagé par le prince Ferdinando Gravina di Palagonia pour filmer le mariage de sa fille. Le protagoniste tombe inévitablement amoureux de la princesse et tente d’empêcher cette union. Sur ce point, on peut tout de même féliciter Bellocchio, qui réinvente la structure du conte et qui explore d’une manière nouvelle le désir d’infantilisme de ses contemporains, si bien véhiculé dans les salles obscures. En témoigne le succès tragique, auprès des adultes, de Harry Potter et compagnie. La surcharge dont souffre le film n’en est que plus regrettable. 
Le réalisateur précise que la Sicile a été traitée comme une image du « Sud » et non dans sa spécificité régionale. C’est une surprise, tant le film semble se référer à ce qui la caractérise justement le mieux dans le cinéma et la littérature. La vétusté, l’immobilisme, la religiosité. Ce n’est pas seulement le monde méridional, c’est avant tout la Sicile dont parlent Lampedusa, De Roberto ou Sciascia. Le contexte sociopolitique du pays est d’ailleurs regardé à travers le prisme sicilien. Les protagonistes répètent que ce sont les morts qui commandent en Italie. Le prince de Salina n’évoquait-il pas, en passant par d’autres métaphores, cette vieillesse et cette pesanteur dans Le guépard ? La représentation de l’île ne parait donc pas si imprécise - sans compter les extraits de Cavaleria rusticana et tout l’imaginaire social que contient l’opéra de Mascagni. 
Bellocchio précise que, contrairement aux réalisateurs de la nouvelle vague, il ne fait pas de « cinéma pour parler du cinéma ». L’idée est étonnante si l’on considère certaines séquences, qui engagent une réflexion sur la valeur d’un cinéaste, la manifestation de sa créativité (cf. les plans en noir et blanc, qui représentent les images que tourne inconsciemment Elica), ou sa place dans le processus d’élaboration d’une œuvre. De plus, Bellocchio affirme ne pas insérer de citations de films, à l’inverse de Godard. Mais ne remarque-t-on pas, par exemple, la musique des Feuilles mortes, que les cinéphiles associent immédiatement aux Portes de la nuit ? Il ne s’agit pas d’une citation au sens strict, mais la référence (même involontaire) est pourtant bien présente. Sans parler de l’évocation du Guépard dans un dialogue, ou de l’utilisation répétée de Cavaleria rusticana, que tant de cinéastes ont repris auparavant. Toute cette épaisseur cinématographique serait-elle fortuite ? N’y aurait-il aucune mise en perspective du cinéma dans le cinéma ? Non, décidément, nous n’avons pas vu le même film ! 

Aurélien Portelli

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