mardi 25 avril 2006

Viva Zapatero ! et l'après Berlusconi

Sabina Guzzanti est une comédienne et une satiriste italienne qui présente en novembre 2003 RaiOt, une nouvelle émission télévisée diffusée sur Rai3. Il s’agit d’une féroce satire de l’actualité et des hommes politiques italiens. Le programme remporte un énorme succès, malgré l’heure de diffusion tardive. Cependant, les sketchs ne conviennent pas à tous. Mediaset (filiale du groupe Fininvest dirigé par Berlusconi) menace d'entamer des actions judiciaires pour diffamation. La RAI décide alors de déprogrammer RaiOt. Guzzanti est alarmée par l’inertie de la presse qui, selon elle, n’a pas suffisamment pris la défense de la liberté d’expression, préférant « chercher des excuses à cette censure ». La comédienne décide de s’exprimer en réalisant Viva Zapatero[1], un documentaire qui enquête sur les raisons de l’interdiction de son émission.
Le film connaît un succès critique et public conséquent en Italie et en France, ce qui surprend pour une petite production indépendante italienne, dont le budget ne permet aucune promotion.
Depuis plusieurs années, nous assistons à un retour en force du cinéma documentaire.
Bowling for Columbine et Fahrenheit 9/11 sont à l’origine de ce phénomène. Le public est avide de découvrir des discours engagés et réalistes sur l’actualité. Les spectateurs apprécient le cinéma militant de Michael Moore. Le réalisateur américain évoque l’existence de foyers discursifs en lutte contre le pouvoir officiel. Face aux diverses pressions politiques et médiatiques, le citoyen semble avoir besoin d’entendre la voix de cinéastes révoltés, qui attire son attention sur les dangers qui menacent la démocratie. Le documentaire représenterait la forme narrative idéale pour répondre à cette attente, car il serait plus proche de la réalité que la fiction. Cette conception est évidemment trop simpliste. Le documentaire est soumis, comme toute œuvre filmée, à des contraintes de cadrage, de narration, de montage, etc. C’est un dispositif narratif qui ne dit pas forcément mieux la vérité et qui ne ment pas moins que le film de fiction. Son approche est certes différente, mais il y a, dans les deux cas, manipulation et transformation de la matière filmique.
Viva Zapatero ! a l’ambition des films de Moore, et souhaite aller plus loin qu’une simple enquête sur la censure de RaiOt. Le film démontre que la liberté d’expression est en danger en Italie, contrairement à la France ou à la Grande-Bretagne, où la satire politique est autorisée. Guzzanti met en lumière le manque de réactivité de la presse et de la gauche. La démocratie italienne parait donc gravement menacée par la censure néo-fasciste du gouvernement berlusconien et par la faiblesse de l’opposition.
Aujourd’hui, la situation politique de la Péninsule n’est plus la même. La coalition de Prodi a gagné les élections législatives en avril 2006. La valeur du film est donc à réactualiser par rapport aux nouveaux événements. Les failles argumentatives du film paraissent dès lors plus béantes. Le documentaire concentre sa réflexion autour du gouvernement liberticide de Berlusconi. Mais la libre parole ne peut se résumer seulement à la question de l’interdit ou de l’autorisation communicationnel. Elle ne peut se concevoir sans la possibilité de bien choisir ses moyens et ses modalités d’expression. Sur ce point, quels sont les potentiels de la satire télévisée pour répondre aux exigences démocratiques ? Le film n’aborde jamais ce problème de front, et encore moins le pouvoir néfaste de la télévision, qui appauvrit chaque jour davantage les capacités réflexives des téléspectateurs. Forcément, la réalisatrice est aussi et avant tout présentatrice…
Prodi pourra toujours favoriser la satire télévisée, tant que les grandes chaînes continueront d’imposer leurs procédés d’information[2], la démocratie ne se portera pas mieux.

Aurélien Portelli
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[1] Le nom du film fait référence à José Luis Rodríguez Zapatero, chef du gouvernement espagnol, à l’origine d’une loi empêchant les conflits d'intérêt dans les médias. Ce dispositif législatif fait cruellement défaut durant le gouvernement Berlusconi.
[2] Citons les journaux télévisés qui sont, à cause de leur approche narrative, des émissions de télé-réalité qui ne disent par leur nom. En effet, la plupart des reportages se borne à présenter lapidairement le thème abordé, puis à l’illustrer par quelques images sur la vie inintéressante d’un anonyme. Dans ce cas, l’information est bien évidemment inexistante.

VIVA ZAPATERO !
Réalisation :
Sabina Guzzanti. Origine : Italie. Genre : documentaire. Durée : 1h20. Année : 2005.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Aurélien,

Tout à fait d’accord sur ta comparaison entre le film documentaire et la fiction. J’aurais même tendance à penser que dans la mesure où la fiction annonce la couleur, elle nous permet de prendre davantage de recul par rapport à ce qu’elle montre : nous sommes prévenus, nous savons que ce n’est pas forcément la réalité.

Quant aux capacités de la télévision, et notamment du journal télévisé, pour répondre aux exigences démocratiques, je crois qu’on ne peut guère se faire d’illusions. Je participais récemment à la Journée du Journaliste Junior, organisée par un service du rectorat, et j’avais choisi de faire une conférence sur le thème suivant : « Le déclin de la presse écrite, une mauvaise nouvelle pour la démocratie ». J’ai essayé de montrer aux jeunes lycéens et collégiens présents quel pouvait être l’intérêt de la presse écrite d’information générale et d’opinion, notamment par rapport à la télévision, en faisant valoir qu’en incarnant le pluralisme, la presse écrite pouvait être un instrument de démocratie. Elle donne de l’espace au débat démocratique et elle développe la capacité de choix et d’autonomie du citoyen. Et ce faisant, elle est une manifestation du pluralisme en même temps qu’elle renforce le pluralisme. Passerelle, accessible à tous, permettant de comprendre les choses, elle est un instrument pédagogique au service de l’exigence démocratique.

Même auprès des enseignants présents, je ne suis pas sûre d’avoir été entendue… « Il faut du temps pour lire Le Monde ! ». J’aurais été curieuse de savoir combien de temps était passé devant la télé par l’auteur de cette remarque…

Aurélien Portelli a dit…

Bonjour Dominique,
Je partage entièrement ton avis, et je déplore que la pensée commune ne puisse se faire en dehors de l’espace télévisuel. En effet, lire Le Monde prend du temps. Mais l’enseignant dont tu parles ne se dit pas que « regarder la télévision prend aussi du temps ». Non, ça c’est normal, acquis.
Cet enseignant ne se dit pas non plus que le journal TV propose une dose infime d’informations, au profit de rubriques criminalistiques sans aucun intérêt (à moins d’être criminologue !). Par ailleurs, plus l’invité est intéressant, moins on lui pose de bonnes questions. Idem concernant les émissions d’actualité.
Bien sûr, le travailleur prétextera qu’il est trop fatigué pour s’adonner à une activité culturelle (raison qui clôt tout débat), et qu’il existe de toute façon des programmes télévisés très intéressants. A chacun de faire de bons choix. Ces prétextes, que l’on entend à longueur de journée sont d’une hypocrisie extraordinaire. Si on calcule le pourcentage d’émissions débiles et de publicités que l’on regarde au final, le quota d’émissions (prétendument) pertinentes est très faible. Le risque de s’abrutir est trop grand : mieux vaut s’abstenir et éteindre le téléviseur. Evidemment, cet argument a tout pour déplaire à la multitude…