mardi 12 septembre 2006

Ghosts on the Loose : ersatz de la propagande anti-nazis

Ghosts on the Loose, réalisé par William Beaudine en 1943, est un superbe nanar politique déguisé en comédie qui n’est jamais drôle. Le film débute sur les répétitions d’une chorale. Un groupe d’amis, les « East Side Kids », se prépare à chanter pour le mariage de la sœur de l’un des compères. Les garçons multiplient les pitreries, malgré le sérieux du chef du groupe : « Je vais vous dire : il faut plus de crescendo. A mon avis, vous étiez un peu trop en el gato ». Le film commence très fort.
Le chef demande ensuite à l’équipe de
« mettre un bon coup ». Résultat : un kid donne un coup de poing sur la feuille de chant, tandis qu’un autre demande : « Pourquoi je chante pas moi ? J’ai chanté dans un quartet à six voix ! ». Manifestement, les petits gars ne sont pas des lumières, et encore moins des comédiens. Au mieux des grimaciers. Quand on sait que les kids ont tourné dans une quarantaine de navets entre les années 1940 et 1950, on a de quoi devenir insomniaque.
Le réalisateur ne nous épargne aucun préparatif du mariage. On a ainsi droit à l’ajustement de la robe de la mariée (interprétée par Ava Gardner qui débutait sa carrière), au vol d’une couronne funèbre, à la fermeture du col de Glimpy (le membre le plus abruti de la troupe), et enfin à la cérémonie religieuse. Une heureuse ellipse (béni soit le fondu enchaîné) nous fait échapper à la totalité de la célébration.
Les séquences sont d’un ennui accablant. Glimpy reste malgré tout la principale attraction du film. Il s’appuie sur une table qui se renverse et vient percuter sa tête, manque de s’étouffer à cause de son col trop serré, ou se fait constamment molester par ses camarades. Citons la séquence, fameuse, où les protagonistes sortent de l’église. Le personnage de Buggs, obligé de jouer les Noirs de service, est interrogé par l’un des kids :
« D’où tu sors ça ? »
- C’est du riz »,
répond Buggs.
« Pourquoi dans une casserole ?
- Il est bien cuit et bien mou ».
Les invités lancent les grains sur les mariés et inévitablement Buggs projette son mélange pâteux sur la figure du pauvre Glimpy (Oncle Ben's n'avait pas encore inventé le riz incollable). C’est dans ce genre de scène que les rires off font terriblement défaut au cinéma des années 1940. Evidemment, ce ne sont pas les gags qui sont risibles, mais bien la nullité des situations.
L'esthétique du film ne vaut pas plus le détour que le scénario. Les cadrages sont répétitifs, la caméra est immobile et le travail de la lumière est bâclée au possible. Hormis la séquence de la cérémonie (où la chorale est filmée à 45 degré en plan d’ensemble, alors que l’assemblée, en contre-champ, est représentée de face), le réalisateur se lance rarement dans la mise en scène.
Passons à la seconde moitié de Ghosts on the Loose. Les spectateurs qui ont survécu jusque là n’ont plus qu’une trentaine de minutes à tenir. Les Charlots décident de décorer la maison des époux, située sur Elm Street (sans Freddy Krueger, qui n’était pas né à l’époque). Les dialogues sont encore plus fumants que dans la première partie :
« Regarde ces belles fleurs.
- Ca se mange pas une fleur ! »
.
Trêve de plaisanterie, les kids se mettent au travail, et pillent la demeure voisine pour meubler celle de leurs amis. Mais ils se trompent d’adresse et se retrouvent dans la maison d’un mystérieux individu, interprété par Bela Lugosi (mais dans combien de nanars a-t-il pu tourner ?). Caché dans une pièce secrète, il va tenter, avec l’aide de ses sbires, d’effrayer les comiques pour les faire déguerpir des lieux.
Buggs enlève la poussière d’un portrait ovale. Ce dernier pivote sans qu’il sans aperçoive, et laisse apparaître le visage de Lugosi. Le pauvre garçon est terrifié en le voyant, et le chef lui ordonne de se coucher sur le canapé.
Dans les plans suivants, Glimpy regarde un portrait de Napoléon vêtu d'un manteau. Le tableau se met également à pivoter. Sur l’autre côté du panneau, on découvre, médusé, que l’empereur a enlevé le manteau, qu'il tient sur son bras. Le plus effroyable est à venir. Le panneau tourne encore, et Napoléon est cette fois en pyjama. Glimpy est sous le choc. Le spectateur aussi. Le chef, quant à lui, en a assez des bouffonneries de son subalterne. Il le menace (
« Je vais t’envoyer chez l’optimiste faire examiner tes yeux ! ») et l’envoie rejoindre Buggs sur le canapé.
Soudain, la bande entend un ricanement sinistre. Les amis décident alors d’explorer l’étage supérieur, pour se persuader que la maison n’est pas hantée. Coup de théâtre : ils trouvent une presse ainsi que des tracts subversifs intitulés
« Comment détruire les Alliés », et « Ce que vous apportera l’ordre nouveau ». Lugosi est donc un infâme nazi, qui complote contre le gouvernement américain (son accent hongrois trahissait déjà ses mauvaises intentions). Sa cruauté est sans limite : il fait déplacer la presse dans la demeure des jeunes mariés afin qu’ils soient accusés à sa place. Les kids alertent la police et parviennent finalement à démanteler le piège. Ils capturent ainsi les agents d’Hitler en les assommant à coups de balai…
Ghosts on the Loose est un ersatz de la propagande hollywoodienne contre le nazisme. Son scénario de circonstance tente, sur le mode de la comédie, d’expliquer au citoyen américain que l’intégrité de son territoire peut être menacée à tout moment par le IIIe Reich. Il faut donc rester prudent, surveiller ses voisins et ne pas hésiter à prévenir les forces de l’ordre au moindre doute.
Evoquant l’effort de guerre des studios durant la Seconde Guerre mondiale, Patrick Brion déclare que
« La gravité et l’horreur de la situation provoquent parfois des distorsions et la xénophobie anti-japonaise et anti-allemande se déchaîne »[1]. Ghosts on the Loose répond parfaitement à ce phénomène en présentant une vision paranoïaque et raciste de la société américaine. En témoigne la dernière séquence, où le chef s’adresse à Glimpy : « Tu fais toujours pire que les autres. Tout le monde a la rougeole. Et toi, tu attrapes la rougeole allemande ». Les Teutons sont décidément très dangereux : ils collectionnent des représentations douteuses de Napoléon et propagent d'affreuses maladies outre-Atlantique. Heureusement que les East Side Kids, parfaits représentants de l’Amérique crétine, veillent sur la sécurité de la nation.

Aurélien Portelli
_________________
[1] Cf. Patrick BRION, Le cinéma de guerre, Paris, Editions de La Martinière, 1996, p. 11.

GHOSTS ON THE LOOSE
Réalisation :
William Beaudine. Interprétation : Bela Lugosi, Leo Gorcey, Untz Hall, Bobby Jordan, Ava Gardner. Origine : Etats-Unis. Genre : film très comique. Année : 1943. Durée : 65 min.

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