mardi 9 mai 2006

Romanzo criminale : la genèse du berlusconisme

Romanzo criminale relate le parcours chaotique d’une bande de criminels italiens qui a sévi à Rome des années 1970 à 1980. D’emblée, on est agressé par la brutalité du montage : les séquences s'enchaînent si rapidement que la compréhension du film devient un défi pour l’intelligence. Certes, on saisit le développement de la trame narrative, et on voit à peu près où le réalisateur nous mène. Mais on a bien du mal à combler mentalement les ellipses entre les segments. Le choix d’une narration linéaire ne sauve pas l'oeuvre, qui reste malgré tout terriblement indigeste. On a souvent l’impression de regarder le brouillon et non la mouture finale du film.
Le dynamisme exacerbé du montage – surtout durant le premier tiers – en devient même ridicule. On a la désagréable impression que le réalisateur veut vite en finir avec l’ascension de ses personnages, pour décrire ensuite minutieusement leur anéantissement. Car c’est bien la chute irrémédiable des protagonistes qui l’intéresse le plus.
Il s’agit là d’une règle du genre. La fresque mafieuse ressasse, depuis que le film criminel existe, la dure vie du criminel, qui n’a pas le temps de profiter de son argent, de son pouvoir ou de son succès auprès des femmes. On oublie que des membres de Cosa Nostra meurent tranquillement dans leur lit ; ou bien sont incarcérés à quatre vingt ans passés[1]. La progression dramatique ne s’écarte donc jamais des conventions. On n’échappe pas non plus à la succession des tubes de l’époque, sensée apporter au récit la couleur historique des "années de plomb".
Reste l’aspect politique, tout juste esquissé. L’œuvre engage une vague réflexion sur le rapport du gangstérisme et du terrorisme des Brigades Rouges. Fredo (Kim Rossi Stuart), l’un des membres de la bande, est traumatisé par l’attentat de la gare de Bologne, alors qu’il est lui-même un assassin. Une cellule secrète qui ministère de l'Intérieur profite d’ailleurs du milieu criminel pour tenter de retrouver Aldo Moro, enlevé par les Brigades. En vain.
Le gouvernement se sert de la mafia pour assurer le fonctionnement de la démocratie. Le mécanisme du pouvoir a besoin de se nourrir de l’illégalité, qu’il combat ou qu’il laisse proliférer en fonction des stratégies adoptées. Evidement, ces pratiques ont des conséquences dramatiques. Elles favorisent l’éclosion de nouveaux réseaux hybrides.
Romanzo Criminale annonce en ce sens le berlusconisme et la victoire des intérêts économiques particuliers sur les valeurs démocratiques. Sans exploiter hélas ce thème si prometteur.

Aurélien Portelli
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[1] Cf. l’excellent article de Francesco Merlo, in La Repubblica, publié en France dans Courrier international, n°807, 20-26 avril, p. 14. Le journaliste montre combien la réalité de la mafia s’écarte de ses représentations romantiques usuelles ; tout en rappelant que les sociétés criminelles ont été influencées par des œuvres comme Le parrain, auxquelles elles ont emprunté certains codes d’expression et d’identification.

ROMANZO CRIMINALE
Réalisation :
Michele Placido. Interprétation : Kim Rossi Stuart, Anna Mouglalis, Pierfrancesco Favino, Claudio Santamaria, Stefano Accorsi. Durée : 2h28. Origine : Italie. Année : 2006.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

ce que tu fais aurelien est vraiment bien , tu sais developper,
expliquer,tu nous invites à participer à ce que tu aimes et par
la même tu nous fais aimer!!Bravo,
bonne continuation et surtout bonne
chance pour ton doctorat.
bernard

Aurélien Portelli a dit…

Merci cher Bernard, ton commentaire est très motivant. A très bientôt je l'espère.

Anonyme a dit…

Salut,

Merci pour ton message...cela fait plaisir.
A quand ta vision des films de tarantino et de Park Chan Wook.
Bonne continuation
Thomas Ultimate identity

Aurélien Portelli a dit…

Merci Thomas,
Les articles sur Park Chan Wook sont programmés. Par contre, concernant Tarantino... disons que je ne l'admire pas. J'aime les cinéastes qui font des choix de mise en scène. Tarantino ne fait pas de choix. Il montre tout ce qu'il sait faire. Ses films sont surchargés d'effets outranciers qui masquent l'indigence de leur narration. Certains aspects thématiques restent cependant intéressants. Mais je ne place pas Tarantino au rang des cinéastes majeurs. Ma vision du cinéma est trop éloignée de la sienne pour créditer son travail.

Anonyme a dit…

Salut Aurélien

C'est vrai, deux mondes s'opposent: l'underground d'un côté et le Pulp de l'autre. Je suis profondement attaché aux films de tarantino parce qu'il nous impose avec talent la folie de son propre monde. Visuellement, c'est aussi un grand artiste ( le fait qu'il n'ait réalisé que 5 films prouvent qu'il prend son temps pour proposer de la qualité.)
En ce qui concerne le style d'écriture des scénarios, je trouve que Chan wook s'en approche inévitablement au niveau de la complexité. Cependant, c'est intéressant de discuter avec quelqu'un qui a les moyens de me faire découvrir un autre monde ( en parlant de nouveau monde j'ai adoré le dernier film de mallick).
En ce qui concerne le cinéma underground, je le trouve actuellement trop social, il perd pour moi de plus en plus son intérêt. Si tu veux voir ce que je pense du cinéma "social" d'aujourd'hui, je t'invite à lire ma critique du festival d'amiens que j'ai envoyé à son président.
J'espère que nous continuerons à nous faire découvrir nos deux mondes respectifs.
A bientôt
Thom

Anonyme a dit…

J'ai retrouvé dans ce film une histoire déjà vue, revue, et encore revue : l'histoire d'un groupe de malfrats qui se constitue, sévit, investit dans la drogue, fait fortune ... avec tous les stéréotypes possibles : amitié, trahison, vengeance, rédemption et on a même droit à l'histoire d'amour ! Le tout comme tu l'as dit Aurélien avec des passages ultra rapides à la limite de l'agacement. Comme si le rélisateur avait voulu tout mettre sur sa bobine mais n'avait pu exploiter ces scènes faute de temps. Dommage.