Le générique de Heat est accompagné par une musique délibérément kitch, tandis que plusieurs zooms arrière dévoilent avec insistance le personnage de Joey, interprété par Joe Dallessandro. L’acteur tourne une fois de plus avec Morrissey dans ce film qui clôt sa trilogie new-yorkaise et qui opère un changement esthétique notable dans son œuvre. Le cinéaste quitte cette fois les ruelles sordides de New York et s’intéresse à un nouvel avatar de l’ange ténébreux joué par Dallessandro.
Joey Davis a été, durant son enfance, la vedette d’une série télévisée. Après quelques mauvaises expériences (notamment dans la chanson), il retourne à Los Angeles pour tenter une nouvelle carrière. Il rencontre dans un motel sordide Jessica (Andrea Feldman), la fille de Sally (Sylvia Miles), une actrice vieillissante. La quadragénaire, dont il ne tarde pas à devenir l’amant, entreprend de l’aider en lui présentant ses amis producteurs. En vain.
Vers un cinéma plus traditionnel
Heat est un film plus traditionnel que les précédents opus de la trilogie. Le scénario est plus élaboré que celui de Flesh ou de Trash (certainement le plus décousu de la série). La progression narrative est quasiment linéaire et se trouve entrecoupée par un nombre réduit de récits parallèles. Le montage est également plus convenu. Les coupes sont plus nombreuses. Le cadrage est moins incertain.
Alors que Morrissey laissait les interprètes totalement improviser dans les autres films, le réalisateur intervient davantage dans la direction des acteurs de Heat. Nouvelle exigence, il leur demande de produire un effort de composition, et non d’interpréter forcément leur propre rôle. Le jeu déconcertant d'Andrea Feldman, sortie tout droit de la fameuse Factory de Warhol, reste quant à lui fidèle à l’esprit des deux films précédents. Elle parvient ainsi à créer le personnage d'une fille-mère névrotique tout à fait saisissant.
De petites saynètes s’articulent autour des personnages secondaires, qui abordent avec Joey des épisodes de leur vie graves ou anodins sans faire de distinction. Morrissey a donc recours à un procédé narratif déjà utilisé dans les deux premiers films de sa trilogie ; même s’il l’utilise de manière beaucoup moins systématique. Les personnages secondaires, comme celui de Jessica, sont donc davantage développés. Son visage apparaît même dans un gros plan silencieux ; plan jusque là réservé au personnage interprété par Dallesandro.
Pourtant, ces saynètes servent mieux que jamais son propos. En effet, l’atomisation du scénario en petites structures narratives qui se juxtaposent à l’histoire de Joey et de Sally permet de suggérer le vide absolu dénoncé par le cinéaste. Les dialogues sont longs, insipides et dévoilent avec pertinence l’inutilité sociale des personnages, qui n’ont rien à faire sinon désirer ou devenir eux-mêmes des objets de désir. Toutes ces vies gravitent autour des étoiles hollywoodiennes tels des satellites insignifiants. Heat démontre de surcroît que les stars représentent elles-mêmes le paroxysme de la nullité existentielle.
Ainsi, certains critiques ont vu un glissement vers une esthétique moins rugueuse qui rompait avec l’esprit des œuvres antérieures. Dès lors, Heat ne parvenait plus à produire cet instant de grâce que l’on trouvait dans Flesh par exemple. Morrissey tournait en quelque sorte le dos à l’underground et fournissait une œuvre se rapprochant du cinéma bis. En fait, il semble que le réalisateur ait opéré une évolution conséquente dans son travail, en parvenant à assimiler ses acquis avant-gardistes à une vision plus formelle de l’esthétique cinématographique. Certes, la surprise est passée. Mais la suite de Trash, sous peine de redite, nécessitait l’emploi de nouveaux procédés filmiques.
On retrouve tout de même l‘ingrédient essentiel de l’univers de Morrissey, c’est à dire une galerie de personnages aussi pittoresques qu’improbables. Un acteur-chanteur sans avenir, une logeuse repoussante et tyrannique, une jeune fille à demi folle, une actrice obsédée par sa réputation, se rencontrent autour de la piscine du motel. Le personnage le plus troublant reste celui d’un débile mental qui se masturbe en public, et qui participe à un show où il a des relations sexuelles avec son frère.
La facticité hollywoodienne
Heat explore la part cachée de l’univers pop d’Hollywood. Univers sinistre régi par la vacuité des apparences. Morrissey, à travers sa trilogie, n’a cessé d’interroger l’arrière-boutique du modèle culturel américain. Dans Heat, il dénonce ce qui se cache derrière la richesse, la célébrité, ainsi que toute la mécanique des rêves produite par l’industrie hollywoodienne. Le cinéma souterrain du réalisateur révèle ainsi la perversité des comportements qui s’agencent à la surface du cinéma traditionnel.
La piscine du motel est fréquentée par des désaxés notoires qui évoquent la périphérie du star-system, où s’amassent les ratés d’Hollywood. A aucun moment Morrissey ne met en scène la grande fête californienne. Il s’amuse au contraire à montrer l’absence de festivités, de convives, de sociabilités, qui alimentent d’habitude les fantasmes des journalistes et du public.
La fabrique des rêves cache un cauchemar : celui des ratés qui ont été éliminés du jeu et des parasites qui n’ont jamais été sélectionnés. L’impératif de jouissance devient la nouvelle drogue qui remplace, dans Heat, l’héroïne de Trash. Masturbation frénétique, sexualité aveugle et sado-masochisme sont ainsi les corollaires indispensables d’une vie morne et sans avenir.
Heat dénonce l’aliénation du star-system à plusieurs niveaux. La logeuse vit à travers la lumière projetée par l’astre hollywoodien. Elle est obnubilée par les célébrités qu’elle porte en haute considération. Sally, en sa qualité d’ancienne égérie du cinéma, est obsédée par sa notoriété. Elle tente de sauver sa réputation des rumeurs qui courent sur la sexualité ambiguë de sa fille. On note d'ailleurs que cette fois, Morrissey décrit l'homophobie des studios, notamment à travers le personnage de Sally qui interdit à sa fille de s'exhiber dans les clubs lesbiens et qui se moque des penchants homosexuels de son ex-mari. On est très éloigné des plans qui montraient, dans Flesh, des couples gays se promenant librement dans les rues de New York. Morrissey dénonce, de ce fait, le moralisme réactionnaire du milieu cinématographique.
Joey Davis a été, durant son enfance, la vedette d’une série télévisée. Après quelques mauvaises expériences (notamment dans la chanson), il retourne à Los Angeles pour tenter une nouvelle carrière. Il rencontre dans un motel sordide Jessica (Andrea Feldman), la fille de Sally (Sylvia Miles), une actrice vieillissante. La quadragénaire, dont il ne tarde pas à devenir l’amant, entreprend de l’aider en lui présentant ses amis producteurs. En vain.
Vers un cinéma plus traditionnel
Heat est un film plus traditionnel que les précédents opus de la trilogie. Le scénario est plus élaboré que celui de Flesh ou de Trash (certainement le plus décousu de la série). La progression narrative est quasiment linéaire et se trouve entrecoupée par un nombre réduit de récits parallèles. Le montage est également plus convenu. Les coupes sont plus nombreuses. Le cadrage est moins incertain.
Alors que Morrissey laissait les interprètes totalement improviser dans les autres films, le réalisateur intervient davantage dans la direction des acteurs de Heat. Nouvelle exigence, il leur demande de produire un effort de composition, et non d’interpréter forcément leur propre rôle. Le jeu déconcertant d'Andrea Feldman, sortie tout droit de la fameuse Factory de Warhol, reste quant à lui fidèle à l’esprit des deux films précédents. Elle parvient ainsi à créer le personnage d'une fille-mère névrotique tout à fait saisissant.
De petites saynètes s’articulent autour des personnages secondaires, qui abordent avec Joey des épisodes de leur vie graves ou anodins sans faire de distinction. Morrissey a donc recours à un procédé narratif déjà utilisé dans les deux premiers films de sa trilogie ; même s’il l’utilise de manière beaucoup moins systématique. Les personnages secondaires, comme celui de Jessica, sont donc davantage développés. Son visage apparaît même dans un gros plan silencieux ; plan jusque là réservé au personnage interprété par Dallesandro.
Pourtant, ces saynètes servent mieux que jamais son propos. En effet, l’atomisation du scénario en petites structures narratives qui se juxtaposent à l’histoire de Joey et de Sally permet de suggérer le vide absolu dénoncé par le cinéaste. Les dialogues sont longs, insipides et dévoilent avec pertinence l’inutilité sociale des personnages, qui n’ont rien à faire sinon désirer ou devenir eux-mêmes des objets de désir. Toutes ces vies gravitent autour des étoiles hollywoodiennes tels des satellites insignifiants. Heat démontre de surcroît que les stars représentent elles-mêmes le paroxysme de la nullité existentielle.
Ainsi, certains critiques ont vu un glissement vers une esthétique moins rugueuse qui rompait avec l’esprit des œuvres antérieures. Dès lors, Heat ne parvenait plus à produire cet instant de grâce que l’on trouvait dans Flesh par exemple. Morrissey tournait en quelque sorte le dos à l’underground et fournissait une œuvre se rapprochant du cinéma bis. En fait, il semble que le réalisateur ait opéré une évolution conséquente dans son travail, en parvenant à assimiler ses acquis avant-gardistes à une vision plus formelle de l’esthétique cinématographique. Certes, la surprise est passée. Mais la suite de Trash, sous peine de redite, nécessitait l’emploi de nouveaux procédés filmiques.
On retrouve tout de même l‘ingrédient essentiel de l’univers de Morrissey, c’est à dire une galerie de personnages aussi pittoresques qu’improbables. Un acteur-chanteur sans avenir, une logeuse repoussante et tyrannique, une jeune fille à demi folle, une actrice obsédée par sa réputation, se rencontrent autour de la piscine du motel. Le personnage le plus troublant reste celui d’un débile mental qui se masturbe en public, et qui participe à un show où il a des relations sexuelles avec son frère.
La facticité hollywoodienne
Heat explore la part cachée de l’univers pop d’Hollywood. Univers sinistre régi par la vacuité des apparences. Morrissey, à travers sa trilogie, n’a cessé d’interroger l’arrière-boutique du modèle culturel américain. Dans Heat, il dénonce ce qui se cache derrière la richesse, la célébrité, ainsi que toute la mécanique des rêves produite par l’industrie hollywoodienne. Le cinéma souterrain du réalisateur révèle ainsi la perversité des comportements qui s’agencent à la surface du cinéma traditionnel.
La piscine du motel est fréquentée par des désaxés notoires qui évoquent la périphérie du star-system, où s’amassent les ratés d’Hollywood. A aucun moment Morrissey ne met en scène la grande fête californienne. Il s’amuse au contraire à montrer l’absence de festivités, de convives, de sociabilités, qui alimentent d’habitude les fantasmes des journalistes et du public.
La fabrique des rêves cache un cauchemar : celui des ratés qui ont été éliminés du jeu et des parasites qui n’ont jamais été sélectionnés. L’impératif de jouissance devient la nouvelle drogue qui remplace, dans Heat, l’héroïne de Trash. Masturbation frénétique, sexualité aveugle et sado-masochisme sont ainsi les corollaires indispensables d’une vie morne et sans avenir.
Heat dénonce l’aliénation du star-system à plusieurs niveaux. La logeuse vit à travers la lumière projetée par l’astre hollywoodien. Elle est obnubilée par les célébrités qu’elle porte en haute considération. Sally, en sa qualité d’ancienne égérie du cinéma, est obsédée par sa notoriété. Elle tente de sauver sa réputation des rumeurs qui courent sur la sexualité ambiguë de sa fille. On note d'ailleurs que cette fois, Morrissey décrit l'homophobie des studios, notamment à travers le personnage de Sally qui interdit à sa fille de s'exhiber dans les clubs lesbiens et qui se moque des penchants homosexuels de son ex-mari. On est très éloigné des plans qui montraient, dans Flesh, des couples gays se promenant librement dans les rues de New York. Morrissey dénonce, de ce fait, le moralisme réactionnaire du milieu cinématographique.
Par ailleurs, la demeure néo-gothique de Sally – référence judicieuse aux décors si prisés dans le cinéma d’avant-guerre – n’abrite aucun tournage, aucune vedette, si ce n’est cette actrice entretenue par ses ex-maris et qui devient à son tour la dinde à plumer. Ce palais des illusions, hanté par les souvenirs d’une époque fastueuse, révèle davantage la déchéance de l'ancienne idole des studios.
Le corps de tous les désirs
Le personnage interprété par Dallessandro est de nouveau l’objet que tous les protagonistes désirent. La logeuse baisse les tarifs de la location de sa chambre contre quelques services sexuels, les deux frères veulent l’intégrer dans leur show pornographique, et Jessica tente de le séduire par tous les moyens pour l’arracher des bras de sa mère. Joey est un jouet entre les mains de jouisseurs implacables.
Morrissey reste fidèle à sa vision de la sexualité. Celle-ci est conçue comme une modalité de pouvoir et non comme une instance de plaisir. Elle sert à obtenir un logement, de beaux costumes, des contacts professionnels et hypothétiquement une nouvelle carrière. Le sexe n’a jamais été plus laid que dans Heat.
Dallessandro interprète de ce fait un individu qui sait user de ses charmes pour parvenir à ses fins. Pour la première fois de la trilogie, le personnage incarné par l’acteur instrumentalise à son tour le corps d’autrui. Joey séduit Sally pour qu’elle l’entretienne, et fait preuve d’une grande cruauté envers Jessica, qu’il n’hésite pas à traiter de « lesbienne malade ». Le scénario de Heat brise ainsi la figure angélique de Dallessandro. Il n’est donc pas étonnant que le spectateur éprouve assez peu d’empathie envers Joey.
Les choix de cadrage de Morrissey confirment cette impression. La caméra s’attarde beaucoup moins sur Dallessandro, alors qu’il occupait la majeur partie du champ dans Flesh et Trash. La magie prend fin. La caméra, à l’instar des producteurs, semble se désintéresser progressivement de lui. Dallessandro est d’ailleurs presque occulté par Feldman, dont l’interprétation psychotique devient peu à peu la principale attraction du film.
Sally vit seulement grâce à la fortune qui provient de ses multiples divorces. Son corps flétri ne lui permet plus de trouver de nouveaux rôles. Actrice déchue, elle se met à son tour à entretenir un homme à la plastique irréprochable. L’œuvre de Morrissey désacralise le corps de l’acteur de cinéma en dévoilant le destin qui attend Joey. Irrémédiablement, celui-ci vieillira, perdra ses atouts et se retrouvera dans la même position que sa maîtresse. Et à son tour, il tentera de consommer la chair fraîche de ses jeunes successeurs.
Sally vit seulement grâce à la fortune qui provient de ses multiples divorces. Son corps flétri ne lui permet plus de trouver de nouveaux rôles. Actrice déchue, elle se met à son tour à entretenir un homme à la plastique irréprochable. L’œuvre de Morrissey désacralise le corps de l’acteur de cinéma en dévoilant le destin qui attend Joey. Irrémédiablement, celui-ci vieillira, perdra ses atouts et se retrouvera dans la même position que sa maîtresse. Et à son tour, il tentera de consommer la chair fraîche de ses jeunes successeurs.
Heat condamne définitivement le personnage principal de la trilogie à rester un minable sans envergure. Il n’est donc pas étonnant qu’au final, Joey retourne dans le motel, pour retrouver les individus de son espèce et réintégrer son véritable monde. Celui des rebuts du paradis californien.
Aurélien Portelli
HEAT
Réalisation : Paul Morrissey. Interprétation : Joe Dallessandro, Sylvia Milles, Andrea Feldman. Origine : Etats-Unis. Durée : 1h42. Année : 1972.
Réalisation : Paul Morrissey. Interprétation : Joe Dallessandro, Sylvia Milles, Andrea Feldman. Origine : Etats-Unis. Durée : 1h42. Année : 1972.
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