lundi 7 août 2006

1900 : La mise en récit de l'histoire

Le mode fictionnel permet à Bernardo Bertolucci d’élaborer la trame événementielle de 1900 en simplifiant la complexité des phénomènes historiques qui compose le récit.
L’intrigue de 1900 se réfère à l’ensemble narratif contenant les événements qui surviennent dans le film. Celle-ci équivaut à la représentation du « compromis historique », c’est à dire l’alliance politique des prolétaires et des bourgeois. Ce concept est projeté dans le passé, à travers le destin croisé d’Olmo et d’Alfredo, qui vivent la montée du fascisme, épisode historique s’insérant dans la lutte des classes.

Le déroulement de l’intrigue
1900
débute par la disparition de Verdi et se termine sur la mort utopique du patron, qui préfigure le compromis historique. Bertolucci, à l’instar de l’historien face à son objet d’étude, préfère traiter certains événements plutôt que d’autres pour développer son récit. Par exemple, étant donné que le fascisme n’est qu’un épisode de la lutte des classes, le cinéaste ne ressent pas la nécessité d’explorer profondément les raisons de son apparition. Le réalisateur accorde aux faits l’importance qu’ils méritent non dans l’histoire, mais par rapport à son sujet.
Bertolucci a par ailleurs choisi une échelle historique dont la distance focale s’établit en fonction de l’espace territorial circonscrit dans le film. Le récit de 1900 se déroule dans un micro-espace rural de l’Emilie, qui s’étend autour d’une vingtaine de kilomètres de campagne entre le domaine agraire des Berlinghieri (constiutée de la maison familiale, des champs et des communs où habitent les Dalcò) et la ville voisine.
Par le choix de l’intrigue, le cinéaste découpe son film à l’intérieur du tissu événementiel de l’histoire. Les faits qu’il élabore ne sont pas isolés : ils s’imbriquent et se composent les uns par rapports aux autres. Ainsi, on ne relève la présence d’événements qui n'existent qu'au regard du microcosme. La conflictualité sociale de 1900 fait ainsi intervenir des acteurs de la « petite » histoire. Elle est structurée en une série d’épisodes événementiels qui élabore l’évolution de la vie des deux personnages principaux et de leur entourage. Le film évoque ainsi des personnages historiques « mineurs » et non des leaders communistes ou des chefs de file du Parti fasciste. Par exemple, Mussolini n'a pas d'incidence majeure dans le microcosme, contrairement à Attila. C'est lui, le chef local des chemises noires, qui incarne le fascisme, et non le Duce. L’un des événements historiques primordiaux est donc l’arrivée du régisseur dans la propriété des Berlinghieri.

Le temps historique
Michel Serceau considère le cinéma comme l'art du montage et de la manipulation du temps. « Le temps du récit se concentre autour de quelques séquences, entre lesquelles il n'y a guère que des moments de transition, faits pour rendre formellement compte du temps qui passe et a passé »[1]. Le déroulement narratif de 1900 n’est pas linéaire : il est structuré par un flash-back de quarante-quatre ans et une ellipse d’une trentaine d’années qui clôt le film. Nous pouvons décomposer la trame narrative de Novecento en plusieurs parties, correspondant chacune aux différentes temporalités du récit filmique
Différents cartons, tels que « 25 avril 1945 jour de la Libération » ou « Bien des années auparavant », indiquent le marquage temporel permettant au spectateur de comprendre les différents sauts dans le temps diégétique. Aucune indication temporelle n’apparaît cependant au début de la quatrième partie. On suppose, vu l’âge très avancé d’Olmo et d’Alfredo, que nous sommes dans la seconde moitié des années 1970, et peut-être en 1976, date à laquelle le film est projeté.
Chaque partie se déroule pendant une saison qui symbolise une atmosphère narrative bien précise. La journée du 25 avril 1945 se situe au printemps, époque du renouveau ; les séquences qui décrivent la naissance et l’enfance d’Olmo et d’Alfredo sont en été, temps des moissons ; le retour d’Olmo de la Première Guerre mondiale et la transformation d’Alfredo en patron en automne, indiquant le déclin ; enfin l’ascension d’Attila et son accession au sommet de sa puissance en hiver, évoquant la thématique de la mort. En ce qui concerne la dernière partie, on suppose que son action se déroule en été : les deux protagonistes ont vieilli et retrouvent leurs jeux d’enfants.

L’histoire contenue dans un seul jour
Concernant la configuration du récit littéraire, Paul Ricoeur distingue une instance chronologique (constituée dans 1900 par les différents événements micro et macro-historiques) et une autre non-chronologique. Selon Ricœur, cette dernière « la dimension configurant proprement dite grâce à laquelle l'intrigue transforme les événements en histoire. Cet acte configurant consiste à prendre ensemble les actions de détail où ce que nous avons appelé les incidents de l'histoire : de ce divers d'événements, il tire une totalité temporelle »[2]. Dès lors, comment Bertolucci introduit-il la temporalité humaine à travers la mise en intrigue de son film ?
On peut déjà évoquer le titre du film, qui indique un espace temporel à lui seul. « Novecento » désigne l'histoire du XXe siècle, ou du moins celle qui, au regard du film, fait le siècle, c'est-à-dire les événements conduisant à l’adoption du « compromis » par Berlinguer.
Ce XXe siècle est contenu dans 1900 par le jour de la Libération, évoquant le passé et le futur historique du film. Le « 25 avril 1945 » est en effet le point d’ancrage du récit, à partir duquel on remonte dans l’histoire (celle des Dalcò et des Berlinghieri) et qui fait également référence à l’année 1976, date de la victoire électorale du PCI. Selon les propos de Bertolucci, le 25 avril 1945 représente « la colonne vertébrale, temporel du film. La construction, même géographique, de cette utopie »[3]. C’est la raison pour laquelle cette journée configure la dimension temporelle de 1900, car les multiples étapes événementielles du film découlent de celle-ci, que l’on quitte et à laquelle on revient inéluctablement dans le récit.
La dernière image du film est onirique. Le vieil Alfredo se couche sur les rails et redevient un petit garçon. Le film se termine donc sur un retour temporel qui exprime la nostalgie de l’enfance, et peut-être une certaine innocence de l’histoire, à l’époque où Alfredo n’était pas encore devenu un patron.
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[1] Michel SERCEAU, Etudier le cinéma, Paris, Editions du Temps, 2001, 255 p.
[2] Cf. Paul RICOEUR, Temps et récit, « 1. L’intrigue et le récit historique », Paris, Seuil, Points Essais, 1983, 404 p.
[3] Jean A. GILI, Le cinéma italien, « entretien avec Bernardo Bertolucci », Paris, 10/18, 1978, 441 p.
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